Le gaz, nous dit l’Agence internationale de l’énergie (AIE), est incontournable dans les années à venir. Diversification des sources d’énergie, indépendance énergétique, réduction des coûts à l’échelle mondiale, arguments écologiques... Pour l’AIE, les bénéfices liés à l’essor du gaz sont considérables. La cause est entendue : nous n’y couperons pas.
Seul hic : l’existence d’un « âge d’or du gaz », selon l’organisation internationale, dépend de la croissance des gaz non conventionnels (GNC) – qui englobent principalement les gaz de schiste, mais aussi le méthane de houille et les gaz de réservoir étanche. Et les gaz de schiste ne laissent pas indifférents, c’est le moins que l’on puisse dire. En France, l’opposition des populations a même conduit à une loi interdisant la fracturation hydraulique et à l’abrogation de plusieurs permis d’exploration.
Face à cette opposition croissante, l’agence ne baisse pas les bras : retour sur un argumentaire en quatre étapes.
1. Ecrire un scénario idéal : « l’âge d’or du gaz »
Il y a tout juste un an, l’AIE publiait un rapport qui venait compléter son traditionnel texte sur les perspectives énergétiques annuelles. Intitulé « Entrons-nous dans un âge d’or du gaz ? », il envisageait une hausse de la production de gaz de plus de 50% d’ici à 2035, remplaçant le charbon comme deuxième source d’énergie derrière le pétrole.
Dans ce scénario, l’agence annonçait clairement la couleur : la part du gaz non conventionnel prendra une place de plus en plus importante dans la production mondiale, jusqu’à atteindre plus de 40% de la demande additionnelle.
« Toutes les grandes régions géographiques ont des ressources en gaz naturel équivalentes à au moins 75 ans de consommation, peut-on lire dans ce rapport, [...] et on estime aujourd’hui que les ressources non conventionnelles sont aussi vastes que les ressources conventionnelles. » Des affirmations très optimistes pour un scénario « idéal », mais qui passent sous silence les difficultés d’exploitation de ces ressources.
2. Parler aux porte-monnaies
500 milliards de dollars (403 milliards d’euros) d’importations de pétrole en Europe en 2012, c’est trop lourd pour des budgets déjà plombés par l’austérité, s’inquiétait Maria Van der Hoeven, la directrice de l’AIE le 23 mai dernier. Imaginez-vous, c’est plus que la dette grecque ! Suite à l’affaiblissement de l’euro face au dollar, le prix du brent en euros est aujourd’hui comparable à son niveau record de juillet 2008. Pour faire baisser la facture, la directrice prône, entre autres, des mesures pour réduire la dépendance aux importations de gaz et de pétrole. Autrement dit : les Etats européens sont invités à mettre en œuvre des politiques favorisant l’exploitation de leurs propres ressources, et tant pis si ces ressources sont non conventionnelles comme les gaz de schiste.
3. Avancer l’argument « écologique » ?
Dans le même temps, l’agence vante les avantages du gaz pour réduire les émissions de CO2 et améliorer la qualité de l’air. Et de féliciter le bon élève américain, qui a vu ses émissions de gaz à effet de serre baisser de 7,7% depuis 2006, un bon score attribuable à une meilleure efficacité énergétique mais surtout à la transition du charbon au gaz. Un peu court, cela dit, pour se réjouir : l’exploitation du gaz n’étant qu’une version un peu plus « propre » par rapport à celle du charbon.
Mais les chiffres mondiaux sont beaucoup plus alarmants : en 2011, les émissions globales de CO2 provenant de la combustion d’énergies fossiles auraient atteint 31,6 Gigatonnes, soit une hausse de 3,2% par rapport à 2010. Difficile dans ces conditions de rester dans la limite d’un réchauffement à 2°C (ce chiffre issu des prévisions les plus optimistes est aujourd’hui mis à mal par des études climatologiques). Une des solutions pour l’AIE là encore ? Miser sur un envol de la production gazière et investir dans l’exploitation des gaz non conventionnels.
Mais face aux inquiétudes concernant la pollution des nappes phréatiques (voir cet article de StateImpact dans lequel l’Agence américaine de l’environnement fait un lien direct entre fracturation hydraulique et contamination des eaux profondes) et les dérèglements sismiques, l’argument écologique risque d’avoir du mal à faire le poids.
4. Instaurer des règles de bonne conduite pour rassurer les populations
Pour remédier à l’opposition publique et redorer l’image des gaz non conventionnels, l’AIE a publié ce 29 mai le rapport « Golden rules for a golden age of gas » (Règles d’or pour un âge d’or du gaz). S’appuyant sur les projections des tendances énergétiques jusqu’à 2035, le rapport présente des mesures destinées à rendre les GNC « acceptables socialement et environnementalement. »
Parmi ces règles d’or, l’agence préconise plus de transparence de la part des groupes industriels, qui devraient rendre publique la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique. Autres mesures : une meilleure gestion de l’eau, l’isolation des puits pour prévenir les fuites, la réduction massive de l’utilisation des torchères, et l’observation continue de l’activité sismique.
Pour Michel Havard, député UMP du Rhône, ce rapport montre que le législateur français a vu juste : « On a eu raison de mettre un terme aux gaz non conventionnels. » Le co-rapporteur d’une proposition de loi sur l’interdiction de la fracturation hydraulique précise « qu’il est inutile de développer les gaz de schiste aujourd’hui dans un marché où les prix vont baisser, puisque d’autres pays vont le faire avant nous à très grande échelle. Et si dans quarante ou cinquante ans la facture (énergétique, ndlr) est insupportable, alors on pourra réétudier la question, quand les risques seront mieux évalués. »
Quoi qu’il en soit, ces règles d’or sont non contraignantes. Un vœu pieux plus qu’une réelle avancée ?
« C’est aux industries de gagner la confiance du public et aux gouvernements de mettre en place les politiques et les régulations appropriées, » a expliqué Maria Van der Hoeven, qui a aussi annoncé la création d’une plateforme commune pour les gouvernements - conformément aux dernières recommandations du G8 à Camp David. Cette plateforme permettra de partager des informations sur les stratégies de production des hydrocarbures et le développement durable. En espérant concilier des intérêts aussi différents que ceux de la France, qui a une législation très stricte, et de la Pologne, grande promotrice des gaz de schiste en Europe.
Des chiffres impressionnants
Environ 700 000 forages ont été effectués aux Etats-Unis depuis vingt-cinq ans.
500 000 puits de gaz sont aujourd’hui en activité aux Etats-Unis, dont 100 000 non conventionnels.
D’après l’AIE, un million de nouveaux puits non conventionnels seront nécessaires pour répondre à la demande en gaz d’ici 2035, dont 500 000 aux Etats-Unis et 300 000 en Chine.
Dans la même projection, le nombre de nouveaux puits en Europe pourrait atteindre 50 000.
Source : rapport de l’AIE Golden rules for a golden age of gas
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions