Il est l’inventeur du superflu durable. Contradictoire ? Peut-être. Mais commercialement fructueux. Ce concept est le résultat de près de deux décennies de travail. Et François Lemarchand, 61 ans, fondateur et président de Nature & Découvertes, en est le cerveau. « Comment faire du progrès dans un monde que l’on veut en décroissance matérielle ? C’est très complexe », souligne-t-il, sourire en coin. Après avoir créé Pier Import, l’homme monte, en 1990, avec son épouse, Françoise, une chaîne de magasins pour « apporter la nature à la ville ». Vingt ans plus tard, ses 70 boutiques sont devenues un immense réservoir de cadeaux verts pour taties en mal d’idées mais conscientes de leur impact de consommatrices sur la planète.
Les Lemarchand fréquentent la nature depuis longtemps. Leurs années 1970 ont été militantes, écolo, tendance hippie. Puis ils sont allés voir ailleurs : Asie, Amérique du Sud, Etats-Unis beaucoup. « Notre credo familial, c’est le voyage, la rando et la mer, assure Antoine, le fils aîné, 37 ans, désormais vice-président. Quand mes parents ont monté l’entreprise, j’avais 17 ans et je servais de cobaye. » Car derrière Nature & Découvertes se cache le mot d’ordre du couple : éduquer à travers les produits. « A l’époque, on demandait aux citadins de protéger ce qu’ils ne connaissaient pas, c’était totalement artificiel », se souvient-il, encore bronzé d’une excursion à Chamonix. Ainsi à côté des cartes des étoiles et des appeaux sont désormais proposées balades en forêt et observations de la Voie lactée. Plus d’un million d’enfants y ont déjà participé.
Le ciment ou l’emmerdement
Deux ans avant le sommet de la Terre à Rio en 1992, l’entrepreneur a senti le vent tourner. « François Lemarchand réfléchit à l’évolution de la société et transforme ses intuitions en commerce. Son talent, c’est de sentir les choses plus vite que tout le monde. Quand elles arrivent, il est déjà prêt », note Jean-Luc Colonna d’Istria, un ancien associé. L’enseigne a ainsi publié un rapport développement durable de ses activités huit ans avant la réglementation de 2001. Or, non cotée en Bourse et propriété de la famille Lemarchand à 80 %, Nature & Découvertes n’y est pas contraint.La dernière innovation maison s’appelle la comptabilité verte. Notes de frais CO2, budget carbone pour chaque service : les émissions de gaz à effet de serre générées lors des déplacements des collaborateurs sont disséquées de même que celles de l’énergie, de l’emballage ou des déchets. Résultat : Nature & Découvertes revendique un chiffre d’affaires, pour 2008, de 180 millions d’euros et une baisse de 1 % de ses émissions de gaz à effet de serre. « Il y a quinze ans, c’était la seule boîte qui avait une vision globale de sa responsabilité environnementale et c’est encore vrai », constate Elisabeth Laville, directrice du cabinet Utopies qui a créé pour ce groupe un outil de diagnostic des fournisseurs.
Les salariés semblent apprécier. Cette année, leurs votes ont fait entrer François Lemarchand dans le baromètre international Great Place to Work, qui dresse un palmarès des sociétés où il fait bon travailler. « L’entreprise doit faire du bien. C’est ça, le ciment de notre boîte. Sinon, les gens s’emmerdent dans leur métier », assène le dirigeant en frappant la table de ses larges paluches.
Transformé en parrain
Pour « donner du sens » à leur entreprise, les Lemarchand avaient déjà créé, en 1994, la Fondation Nature & Découvertes, alimentée par 10 % des bénéfices nets de la société. Sa vocation : soutenir des projets de protection et de sensibilisation à l’environnement. Ce mélange des univers commerçant et militant caractérise François Lemarchand. Avec sa chemise au col élimé et sa gouaille, on le prendrait presque pour un vieil activiste. « C’est le seul patron qui appartient aux deux mondes », note Elisabeth Laville. Administrateur depuis plus de vingt ans au WWF, adhérent à Greenpeace, il s’est transformé en parrain de l’écologie.« Il aime mettre les gens en réseau, écouter, discuter. Son exemple nous inspire », loue Tristan Lecomte, fondateur d’Alter Eco, entreprise de commerce équitable. Son projet de reforestation au Pérou reçoit d’ailleurs les subsides de la nouvelle Fondation Lemarchand pour l’équilibre entre les hommes et la Terre, elle-même financée par 20 % des dividendes des actions familiales de Nature & Découvertes. Et la leçon a été bien transmise. « Pour aider la nature, il faut aussi créer des richesses, explique Antoine, le fiston qui doit prendre la succession. Les fondations fonctionnent parce que la boîte tourne. »
« Je ne crois pas au tout-immatériel »
Depuis 2004, les Lemarchand se payent même le luxe de réunir ministres, pédégés et ONG lors des Universités de la Terre. L’an passé, 28 000 spectateurs ont assisté à ces débats. Jouissif pour celui qui, tout en vendant des libellules clignotantes et des brumisateurs d’oreiller, fait plancher ses équipes sur la manière d’importer avec moins de CO2 les produits fabriqués hors d’Europe, soit la moitié des 2 800 références aujourd’hui en magasin. A la question de l’équilibre entre croissance et impact environnemental, François Lemarchand répond en fervent partisan de l’économie de marché. « Je ne crois pas au tout-immatériel. Je crois en revanche à des produits plus chers, dans lesquels la part de la matière et de l’énergie est de plus en plus faible, et celle de la créativité et de l’invention est de plus en plus grande. » Parfois, François Lemarchand est invité au Medef. Il y vante la fiscalité verte, la taxation du carbone… « Pour faire la révolution », se marre-t-il.EN DATES ET EN GESTES
1990 Ouverture du premier magasin à Eragny (Val-d’Oise) 1993 Publication du premier rapport environnemental de Nature & Découvertes 1994 Création de la Fondation Nature & Découvertes 2003 Lancement de la revue de réflexion et de prospective Canopée 2007 Création du poste de comptable environnementalIl se déplace à Vélib et en hybride.
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