Elles étaient bannies des mangeoires depuis la crise de la vache folle. Voilà pourtant que les si décriées « protéines animales transformées » (PAT) ressurgissent. Ce jeudi, la Commission européenne a annoncé que les poissons d’élevage et autres animaux de l’aquaculture pourront à nouveau se nourrir de farines animales, issues des porcs et de volailles à partir du 1er juin. Elle envisagerait même d’ouvrir ce même droit aux porcs et aux volailles, en 2014 au plus tôt. Pour les experts de la Commission, le danger sanitaire n’est pas réel. « Le risque de transmission d’ESB (Encéphalopathie spongiforme bovine, ou maladie de la vache folle) entre animaux non-ruminants est négligeable à condition que le recyclage intra-espèces (cannibalisme) soit interdit », précise Bruxelles dans un communiqué. Mieux, la filière a fait des progrès. « Les protéines animales transformées dont on parle aujourd’hui sont nouvelles. Dans les années 1990, on mélangeait différents sous-produits des abattoirs et de l’équarrissage, on utilisait des carcasses d’animaux morts. Aujourd’hui les PAT sont des sous-produits ou des co-produits d’animaux sains, bons pour la consommation humaine », souligne Véronique Bellemain, du Conseil national de l’alimentation (CNA)
Les association s’émeuvent néanmoins. Elles ne sont pas les seules. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, sorti de l’ombre médiatique depuis l’affaire des lasagnes à la viande de cheval s’est, sur France Info, élevé contre cette décision venue de Bruxelles. « La France s’était prononcée contre cette disposition européenne », a -t-il rappelé avant de souligner que cette décision ne rend « heureusement » pas obligatoire l’utilisation des farines animales. Cette mesure, a-t-il assuré, devra être mise « en œuvre au plan français avec un véritable esprit de responsabilité de nos industriels ».
Une farine pas chère
Difficile de croire que les pisciculteurs accepterons de faire fi du revirement de Bruxelles. Car l’alternative aux farines animales coûte cher. Les farines de poissons, très sollicitées, ont vu leurs prix s’envoler. Idem pour les farines végétales à base de soja notamment . Leur prix a flambé en même temps que celui de toutes les matières premières. Reste que la France peut bien aller contre l’avis de ses éleveurs. « C’est possible qu’il y ait un positionnement français contre ces PAT mais ça aura pour conséquence des conditions différentes pour les producteurs français par rapport à leurs homologues européens », souligne Véronique Bellemain. Pis, une telle décision risquerait d’être un peu stérile : « En Europe, il y a la libre circulation des produits. Même si l’utilisation de ces farines est interdite aux éleveurs de poissons, le consommateur retrouvera des poissons nourris avec ces farines dans les étals. D’ailleurs, nous importons déjà beaucoup de poissons hors UE qui sont nourris avec ces produits-là. Et il n’y a pas d’obligation d’étiquetage », poursuit Véronique Bellemain.Pour Lionel Vilain, membre de France Nature Environnement, réutiliser des farines animales n’est pas fondamentalement une mauvaise idée. « Ce n’est pas absolument aberrant de donner des produits animaux à certains poissons, aux porcins, aux volailles. On le fait depuis la nuit des temps. Ce sont des carnivores, des recycleurs. Ils servent à valoriser les produits de la ferme. Avant, quand on tuait une bête dans la cour de la ferme, on balançait les restes aux volailles », rappelle-t-il. Mieux pour lui, c’est une matière première noble qu’il est intelligent d’utiliser : « On pompe beaucoup d’énergie pour sécher et incinérer les déchets animaux, sans rien en faire. C’est un gaspillage énergétique et alimentaire. »
Manque de traçabilité
Reste deux problèmes de taille. « D’abord, il y a le manque de traçabilité de la filière des aliments de bétail. A cause d’elle, on risque de donner des farines aux herbivores. Ce serait totalement aberrant », poursuit Lionel Vilain. Un argument défendu aussi par l’eurodéputée Michele Rivasi dans les colonnes de Rue 89 : « Les équarrisseurs mélangent les animaux sans aucune traçabilité, on n’a pas de garantie. Et dans une ferme, si, par erreur, les bovins se mettent à manger des protéines de volaille, ou les porcs des protéines de porcs ? Il ne faut pas ouvrir la boite de pandore. » Cette absence de traçabilité induit un second risque : « le cannibalisme ». Soit « donner du poulet à un poulet, du porc à un porc. Ça induit des risques de transmissions éventuelles de prions », assure Lionel Vilain.La Commission assure pouvoir garantir plus de transparence : « La traçabilité sera exigée tout au long de la chaîne d’alimentation pour prévenir les contaminations croisées induite par une alimentation destinée à d’autres espèces que les poissons. De plus, des tests d’analyse très pointus basés sur des analyses ADN seront employés pour contrôler l’implémentation du système de traçabilité », écrit-elle dans son communiqué. Qui vérifiera ? Et qui supportera le coût d’un tel système ? Véronique Bellemain évoque un possible « auto-contrôle à la charge des fabricants ». Une théorie peu convaincante après l’affaire de la viande de cheval retrouvée dans les lasagnes Findus. Mais, pour Véronique Bellemain, « Les éleveurs ont été échaudés par la crise de la vache folle il y a vingt ans. Je ne vois pas pourquoi ils prendraient de tels risques. Mais c’est vrai qu’un système aussi fin soit-il n’empêchera pas les fraudes. Il ne faut malgré tout pas amalgamer les fraudeurs avec toute une filière composée d’acteurs de bonne foi. »
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