Malgré l’urgence dénoncée par de nombreux acteurs associatifs et politiques, les questions environnementales sont les grandes oubliées de la campagne pour l’élection présidentielle. Alors qu’elles avaient bénéficié d’une prise en charge politique en 2007 - la signature du Pacte Ecologique proposé par Nicolas Hulot2 -, alors que le Grenelle de l’Environnement fut l’occasion de nombreuses propositions innovantes, alors que l’année internationale pour la biodiversité en 2010 a rappelé la situation de crise écologique face à laquelle nous nous trouvons, les candidats restent muets, ou, pire, dénient l’intérêt de la question.
Nous sommes de plus en plus citadins et oublions progressivement notre dépendance, directe ou indirecte, à la nature. Pour l’opinion publique et les décideurs politiques, la biodiversité est donc difficile à appréhender. La complexité de ce mot et la difficulté d’en donner une mesure ou de le lier aux actes de la vie courante en font un élément trop souvent ignoré dans le débat public. Mais la France est dépositaire d’un patrimoine naturel d’une grande richesse, qui s’appauvrit de jour en jour ! Comme une aile d’avion dont on enlèverait un à un les rivets, c’est tôt ou tard l’ensemble du système qui s’écroule.
Ne nous voilons pas la face, cette détérioration des conditions mêmes de notre bien-être et de notre développement est directement liée à l’activité humaine : surexploitation des ressources (pêche intensive, commerce d’espèces protégées, etc.), pollutions (de l’air, de l’eau et des sols), fragmentation et destruction des milieux naturels (étalement urbain, infrastructures, défrichement et déforestation sont quelques exemples), introduction d’espèces envahissantes (accélérée par la mondialisation des échanges) et changement climatique. Il y a urgence. Nous sommes à l’aube d’une rupture fondamentale de la vie sur la planète avec le risque de perdre 70 % à 90 % des espèces vivantes en quelques centaines d’années. Et à menacer notre propre survie.
Un premier pas encourageant
La priorité est de mener des négociations internationales sur le modèle des négociations climatiques. La biodiversité est bien public mondial et seule une action coordonnée globale pourra la préserver. Les négociations climatiques ont été lancées grâce à l’éclairage scientifique des enjeux, apporté par le GIEC. Un « GIEC de la biodiversité » a été constitué par les Nations Unies : International Panel on Biodiversity Conservation (IPBC). C’est un premier pas encourageant.Mais nous pouvons aussi agir en France. Les pistes pour enrayer la perte de biodiversité et en faire un atout économique et social pour la France existent. Dans son rapport « Prendre soin de la biodiversité, un investissement pour l’avenir », Terra Nova en propose plus de quarante pour relever quatre défis.
Mesurer l’impact des activités humaines sur la biodiversité. Sans une inscription pérenne de la biodiversité à l’agenda politique, nous ne pourrons mobiliser l’ensemble des acteurs, publics comme privés, pour faire face à l’urgence écologique. Afin de rendre visibles les efforts de chacun, nous devons disposer d’un système de comptabilité de la biodiversité simple, transparent et partagé. Nous proposons de mettre en place une telle comptabilité, tant pour les entreprises et les associations que pour les collectivités locales et les services de l’Etat, à partir d’une unité non pas monétaire (celle-ci induisant des biais de calculs importants) mais foncière, sur le modèle de l’empreinte écologique. Chaque entreprise, chaque collectivité pourrait ainsi calculer son impact sur la biodiversité et le valoriser lorsqu’il est positif.
Renforcer et prendre en charge les solidarités écologiques. Il existe une dépendance réciproque de plus en plus étroite entre l’homme et la nature. La solidarité écologique - concept proche de celui de « care » développé en sciences sociales - conduit à prendre soin de la nature, où qu’elle soit et quelle que soit la valeur qu’on lui reconnaît, en s’appuyant sur cette dépendance réciproque. Pour réduire les inégalités écologiques, nous proposons notamment de moduler le montant de la dotation globale de fonctionnement des communes, selon qu’elles sont ou non incluses dans un document de planification locale prenant en compte les dynamiques de la biodiversité. La solidarité écologique s’exerce aussi vis-à-vis des pays étrangers. Il s’agit donc d’attribuer une part croissante de l’aide publique française au développement à des projets de protection et de gestion durable de la biodiversité et de diminuer l’impact sur la biodiversité des autres projets de développement.
Investir pour la restauration et le développement de la biodiversité. Trop peu d’argent public est consacré à la biodiversité et celle-ci ne dispose que de peu de mécanismes de financement propres. Pire encore, de nombreuses subventions et dépenses fiscales ont des effets néfastes sur la biodiversité4. Cela n’est plus acceptable. Nous souhaitons qu’une réflexion de fond soit engagée pour basculer une partie de la fiscalité du travail vers une fiscalité du patrimoine naturel. Il s’agit d’imaginer de nouvelles incitations fiscales permettant de limiter la consommation de ressources, tout en les compensant par une diminution de la fiscalité du travail. Nous demandons que les produits de cette nouvelle fiscalité soient affectés, au moins pour partie, à des actions concrètes de lutte contre l’artificialisation des terres, afin de diminuer de moitié le rythme d’artificialisation d’ici à 2020.
Rendre compte aux citoyens. Assurer un suivi précis de la biodiversité pour évaluer les résultats concrets des actions et la cohérence des politiques est une condition indispensable à une action efficace et pérenne. Nous proposons notamment l’organisation d’« États généraux de la nature » : un millier de débats à l’échelle locale, partant d’exemples très concrets issus du territoire et de la vie quotidienne, auront pour objectif de faire émerger des propositions innovantes, formulées par les citoyens, les entreprises et les décideurs.
Les mesures à prendre sont beaucoup plus nombreuses que les quelques exemples cités ici. Le défi est maintenant de faire de la biodiversité une des voies de sortie de la crise, et donc une composante essentielle de toute voie progressiste : soyons proactifs dans la gestion des questions environnementales ; appuyons nous sur la biodiversité comme source d’emplois, d’innovations, de croissance, de bien-être ; et restaurons une biodiversité qui soit aussi créatrice de lien social.
Retrouvez l’intégralité de ce rapport sur le site de Terra Nova.
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