Dans la préfecture de Fukushima, la radioactivité est mouvante. Les césiums radioactifs 134 et 137, les principaux radionucléides qui posent problème plus de deux ans et demi après la catastrophe, s’accumulent dangereusement au bord des rivières des zones les moins touchées par les retombées initiales. Ils sont en effet lessivés par les pluies sur les chaînes de montagnes intérieures, puis emportés par les cours d’eau vers les vallées et, parfois, la mer. On retrouve ainsi des sédiments très fortement contaminés dans des zones qui avaient été relativement épargnées. Les débits de dose annuels dépassent souvent la limite des 20 millisieverts (mSv) fixée par les autorités japonaises et atteignent parfois les 75mSv, révèle une étude signée par des chercheurs français du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE, CEA-CNRS-Université de Versailles Saint-Quentin) et une équipe japonaise de l’université de Tsukuba.
Olivier Evrard, chercheur au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et co-signataire de l’étude, fait des relevés dans les rivières de la préfecture de Fukushima depuis novembre 2011. Il revient juste de l’archipel et s’étonne encore des quantités de radioactivité actuellement véhiculées par les rivières. « Nous étudions les dépôts frais, ces particules fines qui se déposent dans le lit des cours d’eau ou sur les bords, car les césiums radioactifs ont la particularité de se fixer fortement aux sédiments. Or, par rapport à la dernière mission réalisée au printemps, les débits de dose ont augmenté quasiment partout. A certains endroits, ils ont même doublé ! » Dans la zone autour de Minamisōma par exemple, ville située près de la côte au nord de la centrale Fukushima Daiichi, les débits de dose des cours d’eau sont parfois aussi élevés que dans certaines zones évacuées en amont.
Typhons et fonte des neiges redistribuent la radioactivité
C’est pourtant le contraire qui devrait être observé. Comme l’activité du césium radioactif décroît naturellement, la radioactivité devrait être en baisse constante. Que se passe-t-il ? « Les cycles saisonniers de succession des typhons et de la fonte des neiges ont clairement un impact primordial, explique Olivier Evrard. Ils provoquent une forte érosion des sols, qui remobilise les particules radioactives, puis redistribue la contamination sur le territoire via les cours d’eau. » Le plus surprenant c’est que ce phénomène, déjà étonnamment rapide au Japon, semble pérenne. « Les toutes dernières mesures tordent le cou à la théorie selon laquelle la source de contamination se tarit », ajoute le chercheur.Il se trouve qu’une bonne part des zones en amont sont en cours de décontamination. Les Japonais s’acharnent à gratter un peu partout les deux à cinq premiers centimètres de sol pour les enfermer dans des grands sacs en plastique dont ils ne savent ensuite que faire. Faut-il en déduire que cette mesure ne suffit pas, car le césium serait descendu plus en profondeur ? Ou encore qu’en mettant les sols à nu, elle ne fait que faciliter l’érosion et donc le transfert des radionucléides ? Pour le moment, ce ne sont que des hypothèses.
Des radionucléides dilués dans l’océan ?
Seule certitude : « Une partie non négligeable du césium radioactif est désormais stockée dans les lits des rivières, derrière les barrages, puis est relarguée petit à petit », souligne Olivier Evrard. Et ce, dans des régions peuplées. La santé des habitants serait-elle menacée ? Non, affirment les spécialistes : personne ne vit en permanence au bord des rivières et ne reçoit par conséquent de telles doses annuelles. Mais l’étude franco-japonaise alerte néanmoins sur la nécessité de continuer à interdire la pêche et les activités récréatives en bord d’eau. On peut donc s’interroger sur la pertinence d’une relance de l’agriculture, mise en avant par la presse nipponne, comme se demander s’il est bien sain de vivre près de rivières qui charrient tant de radioactivité.L’autre partie du césium véhiculée par les rivières est évacuée vers l’océan Pacifique. C’est déjà là que plus de 80% des rejets de la centrale de Fukushima Daiichi ont échoué en mars 2011, provoquant une pollution sans précédent. Que sont devenus tous ces radionucléides ? Si l’on se fie aux modèles numériques, ils ont été rapidement dispersés grâce au puissant et turbulent courant du Kuroshio, le Gulf Stream du Pacifique. Ainsi dilués, ils ne présenteraient aucun danger direct pour la santé humaine. Les scientifiques ne savent pas néanmoins avec certitude quel trajet ils empruntent.
L’effet boomerang
« Dans nos simulations, des eaux de surface avec une concentration de césium 137 allant de 10 à 30 bq/m3 devraient atteindre la côte nord ouest américaine de début 2014 jusqu’en 2020, détaille Vincent Rossi, chercheur associé à l’université de Nouvelles-Galles du Sud en Australie, qui a piloté une étude parue cet été sur le sujet. Les côtes de Californie du sud devraient voir de plus faibles concentrations, de l’ordre de 10 à 20 bq/m3, mais plus tard et pendant un peu plus longtemps, de 2016 à 2025, en raison d’une pénétration en profondeur suivie d’une résurgence des eaux contaminées. »Toutefois lors d’une présentation en septembre devant l’Agence internationale de l’énergie atomique, Michio Aoyama, de l’Institut japonais de recherche météorologique, a présenté les choses un peu différemment. Il est parti du césium produit par les essais d’armes nucléaires et tombé dans l’océan à l’est de l’archipel. « En le suivant, nous avons appris qu’il avait progressé vers l’est en direction des Etats-Unis et qu’il s’est enfoncé dans les eaux profondes avant d’atteindre le continent nord américain, déclare-t-il dans le quotidien japonais Asahi Shimbun. Il a alors tourné vers le sud et s’est dirigé vers l’océan Indien, le Pacifique sud ou encore est retourné vers… le Japon. » Le césium radioactif de la centrale nippone accidentée suivrait-il le même parcours ? Selon Michio Aoyama, « les enquêtes menées après l’accident de Fukushima ont montré le même phénomène. » Un retour à l’envoyeur qui, même s’il ne présente a priori aucun risque sanitaire, ne manque pas d’ironie.
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