La tarification progressive de l’énergie était le 42ème engagement du candidat François Hollande. « Je ferai adopter une nouvelle tarification progressive de l’eau, de l’électricité et du gaz afin de garantir l’accès de tous à des biens essentiels et d’inciter à une consommation responsable », déclarait-il alors. C’est donc sur ce concept qu’une proposition de loi a été présentée le 5 septembre par le député PS François Brottes, chargé des questions énergétiques à l’époque de la campagne présidentielle et aujourd’hui président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Un timing qui répond à l’urgence de la situation, selon le député, mais qui n’est pas vraiment du goût de plusieurs associations comme France nature environnement (FNE) ou Amorce (Association des collectivités territoriales et des professionnels pour les déchets, l’énergie et les réseaux de chaleur), qui regrettent sa présentation avant même la tenue de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre et du débat énergétique de l’automne.
Un principe simple, une mise en œuvre complexe
Les objectifs de ce texte qui se veut « écologique et social » ? « Moins polluer, mieux investir, réduire les prix liés aux besoins essentiels et responsabiliser tous les acteurs. » D’abord, la tarification progressive s’effectuera en fonction de la consommation et non du revenu : chaque ménage se verra doté pour sa résidence principale d’un volume de kilowatts/heure à un tarif de base inférieur au tarif de base actuel (de 3 à 10%). Celui-ci sera personnalisé en fonction de trois critères qu’il sera demandé aux Français de renseigner lors de leur déclaration d’impôt : la zone climatique du lieu d’habitation, le nombre de personnes occupant le logement et le mode de chauffage. Ensuite trois niveaux de bonus/malus (1 bonus et 2 malus) seront appliqués en fonction de la consommation d’énergie : « basique », « confort » et « gaspillage ».Pour les ménages les plus modestes – rappelons que 8 millions de Français sont en situation de précarité énergétique-, le gouvernement prévoit d’élargir le nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux de l’énergie à 4 millions de ménages (contre 600 000 actuellement). Pendant l’hiver, ils ne pourront se voir couper ni l’électricité, ni le gaz, ni la chaleur.
Pendant les pics de consommation, les gestionnaires de réseaux devront de leur côté prioriser l’ « effacement » (soit la demande faite aux entreprises de limiter leur consommation) plutôt que la production supplémentaire d’électricité. Enfin, les bonus/malus devraient se compenser l’un et l’autre. Ils seront gérés par un compte de la Caisse des dépôts et consignations. « Il s’équilibrera », assure François Brottes.
Un outil de sensibilisation
Le dispositif se voulant pédagogique et responsabilisant, les bonus ou malus appliqués par les fournisseurs d’énergie seront inscrits au bas des factures de leurs clients, ce qui rendra la mesure « extrêmement lisible et compréhensible », assure le député. « Le malus doit donner un signal. A ce stade on mobilise les gens, on les responsabilise. Nous aurons connaissance des personnes en situation de malus : ils seront contactés par les pouvoirs publics », ajoute François Brottes. Des mesures d’accompagnement seront par exemple proposées pour aider les ménages modestes, telle la mise en relation avec un réseau local d’aide aux travaux énergétiques. « Nous devrons trouver des solutions pour accompagner la réhabilitation des passoires thermiques, qui concernent souvent les plus modestes », estime le député. Celles-ci seront toutefois définies plus tard, lors du débat sur la transition énergétique. Par ailleurs, pour les locataires « une partie du malus sera déduit du loyer, ce qui obligera le propriétaire à prendre conscience de la situation », explique le porteur du texte.Le dispositif doit également être évolutif. Dans un premier temps, il concernera les énergies en réseaux (électricité, gaz, chaleur) pour les résidences principales des particuliers, soit 80% des logements. Mais le texte prévoit son extension aux autres sources d’énergies (fioul), au tertiaire (commerces et bureaux) ainsi qu’à l’eau. Ces différents chantiers devraient être clarifiés par le débat parlementaire. La fourchette du bonus et des malus sera, elle, arrêtée annuellement par le ministre chargé de l’Energie.
Pour l’heure le député se veut rassurant quant au montant : le dispositif pourrait représenter « quelques dizaines d’euros » pour les consommateurs, assure-t-il. Pour la mise en place concrète du dispositif, cela ne se fera pas avant un an, le temps notamment d’évaluer les consommations moyennes des différentes typologies…
Les ONG craignent pour les ménages modestes
Si les ONG saluent l’initiative, beaucoup veulent montrer qu’elles restent vigilantes quant à sa mise en œuvre. Ainsi, il s’agit d’« une belle innovation mais le diable se cache dans les détails », clament le CLER (Comité de liaison des énergies renouvelables) et le RAC (Réseau action climat) dans un communiqué commun. Si cette proposition de loi était effectivement « adoptée, elle encouragerait la maîtrise de l’énergie et pénaliserait les consommations exubérantes tout en veillant à ne pas être injuste socialement » concèdent-ils. Pour autant, « les tarifs progressifs ne constituent pas un dispositif social » : les aides financières pour les ménages les plus modestes doivent donc « prendre la forme d’un bouclier énergétique et non de tarifs plus ou moins réduits ». Par ailleurs, tout comme l’association de consommateurs CLCV, les ONG demandent à ce que les abonnements soient pris en compte, pour diminuer les tarifs des petits moyens abonnements (3 ou 6 kilovoltampères) et augmenter celle des abonnements « de luxe » (au-delà de 9 kVA).« Cette tarification progressive doit s’accompagner de mesures structurelles facilitant la rénovation thermique des bâtiments. Sans quoi, il y a peu de chance de voir les habitants de passoires thermiques réduire leur consommation », alerte FNE. Quant à la Fondation Nicolas Hulot, elle estime que l’efficacité de la mesure « dépendra évidemment des taux de bonus malus retenus et de la définition des ‘besoins essentiels’ qui seront fixés ultérieurement » Concrètement, la FNH souhaite que « les kWh avec le plus gros malus coûtent au moins le double des kWh bonus d’ici 5 ans. » De son côté, Amorce estime qu’en l’état le texte « ne règle pas la précarité énergétique » et rappelle que l’enjeu n’est pas tant de baisser la facture que la consommation...
Par ailleurs, les associations environnementales rappellent que cette mesure ne doit pas être le seul outil proposé en matière de fiscalité verte et qu’elles souhaitent toujours la mise en place d’une contribution climat énergie, qui s’accompagnait elle d’un chèque vert, considéré comme plus social que le bonus/malus actuel.
Ce qui se passe ailleurs
Dans sa présentation à la presse, François Brottes présentait le dispositif comme « unique au monde » mais d’autres pays ont tout de même déjà testé la formule, sous des formes diverses. C’est notamment le cas du Japon et de la Californie, souligne Capgemini consulting dans son blog. Au pays du soleil levant, le coût de votre abonnement est fixe, mais chaque mois un surcoût est défini en fonction de la demande globale d’énergie, de la part d’énergie solaire et de fioul dans la production d’électricité du pays. Trois tranches avec un prix du kWh différent sont de plus définies pour la tarification de l’énergie consommée. Si ce système est « simple » il peut cependant être considéré comme « incomplet » car il « ne tient pas compte de la température, des saisons ou des jours chômés pour la partie progressive », note Capgemini. En Californie, le système est plus complexe. Chaque jour, un socle de référence est défini - prenant en compte la température et les jours chômés - pour déterminer les différentes tranches de tarification. Par exemple, pour un jour travaillé en automne, la référence est définie à 12 kWh pour la journée. Au delà, plus l’énergie consommée dans la journée est élevée, plus le tarif au kWh augmente. « Plus complet, ce modèle de tarification permet au consommateur d’identifier la quantité d’énergie qu’il est censé consommé chaque jour », note le cabinet. Aujourd’hui ces 2 expériences montrent des baisses de consommation énergétiques réelles. Aux Etats-Unis, l’Ontario et le Montana ont d’ailleurs suivi l’exemple.Cet article de Béatrice Héraud a initialement été publié le 6 septembre 2012 sur le site de Novethic
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