Soulagés. Les pourfendeurs des tests sur les animaux de laboratoire n’ont pas boudé leur plaisir lorsqu’est entrée en vigueur le dernier volet de la loi européenne sur les produits cosmétiques ce lundi. « Nous sommes ravis. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit une décision être adoptée aussi nettement. Il y a encore quelques mois, il semblait possible que ça échoue. Je suis très heureux », souligne Nick Palmer, directeur des politiques pour L’Union britannique pour l’abolition de la vivisection (Buav) et de la Coalition européenne pour en finir avec les expérimentations animales (ECEAE).
Entamé en 2004, le long processus européen avait d’abord interdit que des produits finis (rouge à lèvres, shampoing, crèmes…) soient testés sur des cobayes. Puis, en 2009, avait inclus dans cette interdiction les tests sur les ingrédients qui composent le produit. Restaient jusqu’ici autorisés – à condition d’être réalisés à l’étranger - les tests dits « de toxicité chronique ». Ceux-là visent à mesurer l’effet des substances prises à des doses répétées, leur impact sur la reproduction et à évaluer la toxicocinétique. Les produits qui les auraient subis sont désormais sommés de rester à la porte de l’Europe. Le commissaire européen à la Santé et à la Politique des consommateurs, Tonio Borg s’en est félicité : « L’entrée en vigueur, aujourd’hui, de l’interdiction totale de mise sur le marché constitue un signal fort de l’attachement européen au bien-être animal. »
Pour les industriels, pas de surprise : « C’est une décision ancienne, qui ne date pas d’aujourd’hui », tient à rappeler Anne Dux, directrice des affaires scientifiques et réglementaires à la Fédération des entreprises de la beauté (Febea). Cela n’en reste pas moins, pour elle, une hérésie. « A partir d’aujourd’hui (de lundi, ndlr), il n’y aura plus d’innovations en cosmétique ». Car les exigences sanitaires européennes, elles, n’ont pas baissé. « Vous savez, on ne fait pas des essais longs et coûteux sur l’animal de laboratoire pour le plaisir, poursuit Anne Dux. Les tests récents ont été menés pour deux types de raisons : soit pour évaluer de nouvelles substances, de nouveaux ingrédients soit pour éviter qu’un ingrédient cosmétique ne soit pas par exemple un perturbateur endocrinien. Sans les tests, on ne pourra pas démontrer que ce n’est pas le cas. On ne pourra pas introduire de nouveaux produits mais on risque aussi de perdre des molécules qui existent et peut-être sans raison. »
1 % des produits touchés par l’interdiction
Une réalité largement exagérée pour Nick Palmer : « 20 000 ingrédients sont d’ores et déjà utilisés en cosmétique et 95 % des produits utilisent ces ingrédients existants tandis que 5 % intègrent de nouveaux ingrédients. Et parmi ceux-là certains peuvent être déclarés sûrs autrement qu’en utilisant des tests sur les animaux. Il y aura peut-être l’occasionnel shampoing dont l’introduction sera retardée par cette interdiction mais ça restera très rare. En clair, on parle peut-être d’1% de produits touchés par cette interdiction. »Des produits testés autrement ? La question des alternatives est justement au cœur du discours des pros et des antis. En tout cas, l’Union européenne a mis les moyens pour dénicher les nouvelles voies d’expérimentation. Elle y a affecté près de 238 millions d’euros entre 2007 et 2011. Mais les lacunes persistent assure la responsable de la Febea : « On peut tester la toxicité aiguë, par exemple vérifier in vitro si une substance pique les yeux, la peau. Mais pas la toxicité chronique. Là pour raisonner chez l’homme, il faut raisonner chez l’animal. On n’a pas pu trouver d’alternatives et je doute qu’on le fasse. » L’Union européenne (UE) abonde : « La recherche de méthodes de substitution à l’expérimentation animale se poursuivra, car le remplacement total des essais sur les animaux par d’autres méthodes n’est pas encore possible », a reconnu la Commission européenne dans un communiqué.
Une situation là aussi contestée par Nick Palmer : « Les alternatives existent, elles n’ont simplement pas été encore validées par le Cevma (Centre européen pour la validation de méthodes alternatives, ndlr) ». Et l’homme de nuancer l’importance de la question : « Il y a beaucoup de produits pour lesquels on n’a pas besoin de ces tests. Par exemple la mesure de la toxicité reproductive n’est pas traditionnellement menée. C’est un test cher qui se fait sur plusieurs générations. Idem pour les tests sur les doses répétées. Car vous n’utilisez pas un shampoing 20 fois par jour. C’est une minorité d’une minorité de produits qui exigent ces tests. » Mieux, selon lui, quand les alternatives existent, « elles sont souvent meilleures ou plus sûres. Vous savez les tests sur les animaux n’ont pas été particulièrement validés. C’est juste qu’on a l’habitude de les pratiquer. Mais vous et moi ne sommes pas des souris ou des lapins ! Les tests sur les tissus humains peuvent donner une meilleure prédiction des risques ».
Menace de délocalisation ?
Reste un argument de taille pour l’industrie : les conséquences économiques d’une telle décision. « On risque d’avoir une délocalisation des centres de recherche et de voir des emplois détruits. A partir du moment où les marchés en croissance se trouvent plutôt en Asie ou en Amérique du Sud et que l’innovation ne sera plus en Europe, pourquoi les industriels resteraient ? Pourtant, l’industrie cosmétique est la force de l’Europe, encore davantage de la France », estime Anne Dux, de la Febea.« Ca risque d’être plutôt l’inverse, assure Nick Palmer. Jusqu’à aujourd’hui, on pouvait importer des produits qui avaient été testés sur des animaux, mais on ne pouvait pas réaliser ces tests en Europe, ce qui poussait plutôt les emplois hors de l’Europe. Aujourd’hui tout est interdit. Or, à part quelques grands laboratoires chinois je ne pense pas que les industriels veuillent délaisser le marché européen. C’est un trop gros marché. »
Et les consommateurs dans tout ça ? Risque-t-il d’être privé de progrès ? « On verra dans quatre, cinq ans l’écart de qualité et d’efficacité des produits entre l’Europe et le reste du monde », suggère Anne Dux. « C’est assez hallucinant, l’UE préfère le bien-être de souris de laboratoire à l’innovation et au dynamisme économique ». La menace ne fait pas sourciller les détracteurs de l’expérimentation animale. « Les gens sont plutôt mal à l’aise de voir les animaux souffrir pour tester un shampoing ou un rouge à lèvres alors qu’il en existe déjà tellement, explique Nick Palmer. Mais ce n’est pas le seul sujet. Nous essayons aussi d’entamer les discussions sur les produits ménagers. Avons-nous besoin de l’expérimentation animale pour tester une peinture, une eau de javel ? »
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