Prenez l’avion ! Le climat en fait les frais, l’Etat paie l’addition. Alors que le Salon international de l’aéronautique et de l’espace, au Bourget, consacrait ce jeudi sa troisième journée au dérèglement climatique et tandis que les compagnies remettaient leur manifeste « la COP21, vue du ciel » à la ministre de l’Ecologie, les ONG en ont profité pour souligner les largesses des pouvoirs publics envers le plus polluant des modes de transport (l’aviation mondiale émet autant de gaz à effet de serre que l’Allemagne). Absence de taxation du kérosène, TVA réduite : au total, « le manque à gagner annuel pour l’Etat français lié aux niches fiscales accordées au secteur aérien est évalué entre 1,2 et 1,42 milliard d’euros », explique le Réseau action climat (RAC) dans un communiqué. Ramené au nombre de passagers, cela signifie que pour chaque voyage à l’intérieur du pays, l’Etat vous offre en moyenne 40 euros sur votre billet.
Un Lille-Marseille à 29 euros avec Ryanair grimpe au même prix qu’un billet de train
Prenons un trajet Lille-Marseille avec Ryanair. Vous vous y êtes pris dès aujourd’hui pour un trajet en septembre, vous payez votre billet 29 euros. Au cours de ce voyage, vous allez consommer à vous seul quelque 40 litres de kérosène, selon le calculateur de la DGAC, la Direction générale de l’aviation civile. Si la taxation inscrite dans le Code des douanes – à savoir 34 euros pour 100 litres – était appliquée, votre billet prendrait 14 euros, soit la moitié de son prix initial.
Seulement voilà, alors que l’automobiliste verse 0,62 euros à l’Etat par litre d’essence et 0,46 euros pour le gazole, le kérosène est le seul produit pétrolier dont le barème de taxation, qui pourtant existe, n’est pas appliqué. L’aviation est donc le seul moyen de transport qui n’est pas imposé sur son énergie. Un traitement de faveur que dénoncent les ONG. « Paradoxalement, le train, qui est un transport bien moins polluant, paie des taxes sur son énergie », commente Lorelei Limousin, responsable des politiques de transports au sein du RAC. De fait, à l’exception du fret et des petites lignes qui roulent au diesel, le plupart des TGV carburent à l’électricité, une énergie soumise à la TVA.
La TVA, elle non plus, n’alourdit pas le prix de votre billet. Comme pour l’ensemble des transports, un trajet d’avion en France bénéficie sur cette taxe d’un taux réduit de 10%. Un trajet à l’international en est même complètement exempté, contrairement aux voyages en trains au sein de l’Europe. « On pourrait s’attendre à ce que l’aviation, compte tenu de son impact négatif pour la collectivité, soit soumis à un taux normal », estime Lorelei Limousin. Si c’était le cas, votre Lille-Marseille prendrait encore 3 euros. De 29, il serait passé à 46 euros, soit le même prix qu’en train (1). Et encore, le tout avec une taxe carbone quasiment inexistante.
Si l’on veut intégrer dans le prix du billet l’impact du vol sur le climat, l’inflation ne s’arrête pas là. Reste à compter les émissions. Pour les vols au sein de l’Union européenne, et donc pour notre Lille-Marseille, une taxe existe. Depuis 2012, le secteur aérien est intégré au Système d’échange des quotas de gaz à effet de serre (SEQE). Mais « sur ces quotas, 85% sont octroyés à titre gracieux et le prix de la tonne de CO2 est aujourd’hui trop bas pour les inciter à réaliser des économies d’énergie », déplore le RAC. L’aubaine est encore plus belle pour les trajets à l’international : pour eux, la taxe carbone est simplement inexistante. Une exemption qui, pour le RAC, fait de l’aviation « le “passager clandestin” de l’action internationale contre le dérèglement climatique ».
Un Paris-Marrakech passe de 56 à 101 euros
Prenons un billet Paris-Marrakech à 56 euros avec EasyJet. Imaginons que les émissions de CO2 soient soumises à une taxe carbone à 41 euros la tonne de CO2 (2). Avec ses 192 kilos de CO2 émis par passager, le trajet verrait son prix grimper de 8 euros. Imaginons aussi que les Etats reviennent sur la Convention de Chicago qui, depuis 1944, interdit la taxation du kérosène à l’international. En utilisant le barème français, le prix de ce trajet, qui consomme 64 litres par passager, grimperait encore de 20 euros. 56+8+20 : une fois le kérosène et les émissions taxées, le prix du billet atteint 84 euros. Appliquons à cela le taux normal de TVA du pays de départ, soit 20%. Et le vol ne coûte pas non plus 56 mais 101 euros.
A ces niches fiscales, peuvent s’ajouter des subventions. Celles versées directement aux aéroports par les collectivités. « Les grands aéroports comme Paris-Charles-de-Gaulle, Orly ou l’aéroport de Marseille n’en touchent pas, nuance Yves Crozet, économiste et président du Laboratoire d’économie des transports. Mais la plupart des petits ne s’en sortiraient pas sans. L’aéroport de Saint-Etienne-Bouthéon (Loire), par exemple, bénéficie de 2 millions d’euros de subvention, dont 1 million juste pour Ryanair. »
Malgré ces niches et subventions, votre billet n’est pourtant pas exempt de taxes. Lors de votre réservation, certaines compagnies vous en fournissent le détail, comme ici Air France :
« La plupart de ces taxes financent soit les aéroports, soit DGAC, les contrôleurs aériens…, explique Yves Crozet. En gros l’aviation se finance elle-même. » Quant au climat… il attendra.
(1) Pour un billet pris à ce jour pour la même date.
(2) Le prix pour 2015 qui, selon le rapport Quinet de 2009 (préconisant 32 euros la tonne en 2010 plus 5% par an), devrait permettre d’atteindre progressivement l’objectif d’une taxe à 56 euros la tonne en 2020 puis 100 euros en 2030. Objectif qui vient d’être adopté, ce mercredi 17 juin, par amendements à la Commission des affaires économiques du Sénat.
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