Voyant venir le coup, ils avaient travaillé leur parade. Dans la perspective d’une entrée en vigueur de l’écotaxe annoncée chaque année depuis 2011, les transporteurs routiers ne sont pas restés les bras ballants. Et pour cause : le surcoût de la mesure, estimé à 5%, risque de réduire leur marges à néant. De leur côté, les donneurs d’ordres - industriels et distributeurs - ne sont pas prêts à répercuter cette hausse sur leurs budgets. Alors, pour cesser de se renvoyer la patate chaude et rendre cette mesure indolore, la traque aux gaspillages s’est imposée.
Transporter plus en roulant moins
« Près d’un tiers des entreprises ont anticipé l’écotaxe par le lancement d’opérations d’optimisation », estime le cabinet de consultants BP2R dans un sondage réalisé auprès de 133 entreprises. En clair, il s’agit de transporter plus tout en roulant moins. Dès 2008, soit un an après que l’adoption du principe de l’écotaxe au Grenelle de l’environnement, une PME de Loire-Atlantique, les transports Derval, avait déjà pris les devants. « Chaque jour on suit les distances parcourues, la consommation, le chargement, avec pour objectif de faire mieux le lendemain », explique Dominique Derval, la gérante de cette société signataire de la Charte Objectif CO2.Des camions remplis à moins de 70 %
La tactique de base consiste à augmenter le chargement. Comme le taux de remplissage des camions oscille en moyenne entre 50 et 70 % du volume, la marge de manœuvre est importante. « En 2013, pour anticiper l’entrée en vigueur d’une taxe sur les kilomètres parcourus, notre mot d’ordre était de charger un maximum », indiquent les membres du service logistique de Système U. Même son de cloche chez les concurrents. Alors pour atteindre cet objectif, chaque transporteur y va de sa stratégie : « on appelle chaque matin les clients pour savoir si leurs palettes ne peuvent partir un jour plus tard ou un jour plus tôt, dans un camion plus rempli », explique Dominique Derval. D’autres transporteurs ont aménagé un étage de chargement supplémentaire pour empiler des palettes jusqu’au plafond de leurs camions.
De leur côté, les industriels pactisent. Des produits concurrents mais voués à atterrir dans un même rayon font de plus en plus souvent la route ensemble. Pour les cosmétiques, la pratique est rodée. « Colgate et Henkel le faisaient déjà depuis 2007, mais en 2013 la stratégie s’est diffusée à l’ensemble des rayons », précise Alain Borri, le directeur associé de BP2R. Une évolution que Dominique Derval salue : « désormais on va chercher les produits de quatre clients différents sur une même plateforme de chargement. Résultat on envoie deux fois moins de camions. »
L’écoconduite boostée
Après avoir appris à rouler moins, il reste à rouler mieux. « La perspective de l’écotaxe a aussi boosté l’écoconduite », estime Frédéric Denhez, conférencier et auteur de la Dictature du carbone (Fayard, 2011). Moyennant quelques milliers d’euros, les transporteurs forment leurs conducteurs à anticiper les côtes et à lâcher un peu leur levier de vitesses. Ainsi, en trois ans, Dominique Derval a vu la consommation de sa flotte baisser de 4%. Au zèle des conducteurs s’ajoute les coups de pouce de l’informatique. « Des logiciels enregistrent les détails des trajets, par exemple les limitations de vitesses ou les dénivelés, puis ils donnent aux conducteurs les consignes leur permettant d’anticiper », détaille la gérante. Grâce à ces nouveaux outils, les itinéraires sont calculés au kilomètre près et les voyages à vide sont soigneusement traqués.Le surcoût de l’écotaxe largement compensé
« Toutes ces mesures ont permis à certains acteurs de la grande distribution de réaliser jusqu’à 9 % d’économie sur leur budget transport, constate Alain Borri. L’objectif initial c’était de compenser les 5 % de surcoût, mais certains transporteurs l’ont largement dépassé. » Et l’écotaxe n’est jamais arrivée. En attendant une potentielle entrée en vigueur prévue au mieux en 2015 , les distributeurs imposent aux transporteurs de répercuter la majeure partie de ces économies sur les prix. « L’effort pèse surtout sur les chauffeurs mais ce sont les clients, la grande distribution en particulier, qui en bénéficient », estime Frédéric Denhez.Sauf que l’élan s’essouffle. Chez Mce express, une société de transports et de messagerie, « des aménagements étaient en cours, mais comme l’écotaxe a été suspendue, ils ont eux aussi reporté », confie Philippe Goupil, le directeur des opérations. Chez Système U, les études envisageant la mise en place d’une flotte roulant au gaz naturel on été interrompues. « Dans tous les secteurs des transporteurs lèvent le pied, car si la menace d’une redevance sur les kilomètres parcourus est écartée, rationaliser les trajets n’est plus une priorité », estime Alain Borri, pour qui la démotivation est générale. Frédéric Denhez relativise : « Les efforts engagés ne remettaient pas en cause le système, finalement seule la performance était améliorée. »
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