Envie de savoir si l’industrie pharmaceutique invite votre médecin traitant au restaurant ? Aux Etats-Unis, ces liaisons dangereuses sont accessibles en quelques clics. Dîners, congrès, financement de recherches ou de formations : le site Dollars for Docs répertorie tous les liens entre médecins et industriels de la santé et livre leurs secrets aux patients méfiants. En France, une telle transparence n’existe pas encore. Si le dispositif est bien prévu dans la loi, ses décrets d’application sont toujours en discussion. Mais, après les affaires du Médiator, de Diane 35, des statines, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, a encore répété, mercredi 27 février, sa volonté de voir ce fichier géant et libre d’accès émerger. Un moyen pour les médecins de prouver qu’ils rédigent leurs ordonnances dans le seul intérêt des patients.
Dominique Dupagne est médecin généraliste à Paris, auteur de la « Revanche du rameur » (Michel Lafon, 2012) et animateur du forum médical Atoute.org. Il donne son avis à « Terra eco ».
Terra eco : Pensez-vous qu’un site Internet soit une bonne idée pour lutter contre les conflits d’intérêt entre médecins et industriels de la santé ?
Dominique Dupagne : C’est plus qu’une bonne idée, c’est indispensable ! Quand on entend un médecin défendre dans les médias l’efficacité des statines contre le cholestérol, il serait bon de pouvoir savoir, en quelques clics, pour qui il travaille et à qui il est lié. Son avis est-il purement scientifique ou fait-il la promo du produit d’un industriel qui paie ses formations, ses recherches ? La question mérite d’être posée et ce site permettrait d’y répondre. De cette manière, le citoyen pourrait prendre de la distance avec l’information qu’il reçoit. Cette vigilance est nécessaire. Si l’on accrochait sur les vestes des médecins médiatiques tous les logos des industriels qui les financent, ils prendraient très vite des airs de pilotes de Formule 1.Mais pour tous les autres médecins, ceux qu’on ne voit pas sur les plateaux télé, quel sera l’impact ?
C’est un cercle vertueux. En augmentant, via Internet, le niveau d’informations des patients, on favorisera les bonnes conduites de leurs médecins. Par exemple, si votre gynécologue insiste pour vous faire changer de pilule, aujourd’hui vous n’avez pas vraiment d’autre choix que de lui faire confiance. Par contre demain, si un tel site existe, vous aurez les moyens de vérifier que votre santé est sa seule motivation. Les médecins, de leur côté, sauront qu’ils ne bénéficient plus de la confiance aveugle de leurs patients. Alors, pour continuer à avoir du monde dans leurs salles d’attente on peut supposer qu’ils seront plus prudents. Par exemple, ils veilleront à ne pas favoriser systématiquement un produit ou espaceront les formations gratuites proposées par les laboratoires pharmaceutiques.Ce site aura-t-il aussi des conséquences financières ?
Pour le budget de la Sécurité sociale, l’impact d’un tel site serait colossal. Je ne peux pas le prouver mais j’estime qu’il permettrait d’économiser pas loin d’un milliard d’euros par an. On n’imagine pas le nombre de traitements prescrits sans réelle justification médicale mais avec un vrai intérêt financier. On arrive a des situations aberrantes : de la chimiothérapie à 1 000 euros par jour pour des personnes mourantes.Sous quelles conditions ce site peut-il être efficace ?
D’abord, il faut créer un site unique comme c’est le cas aux Etats-Unis. Si la seule contrainte c’est que les déclarations d’intérêts soient quelque part en ligne, elles risquent d’être noyées dans une myriade de petits sites impossibles à trouver. Ensuite, et c’est lié, il faut que ce site soit référencé par les moteurs de recherche. Sinon cela revient à chercher un mot dans un encyclopédie de 20 000 pages sans sommaire ni index. Dans le texte de Xavier Bertrand (alors ministre de la Santé, ndlr) l’indexation par les moteurs de recherche est interdite au nom de la protection de la vie privée. Cela n’a rien à voir ! Et si le site n’est pas référencé autant ne rien faire du tout. Enfin, il faut que cette déclaration d’intérêts soit obligatoire dès le premier euro versé aux médecins par les laboratoires . Dans le débat parlementaire, un seuil de 60 euros était évoqué. 60 euros c’est déjà plus que le prix d’un repas au restaurant. Si les industriels s’agacent qu’on leur cherche des noises dès qu’ils offrent un café, il leur suffit de laisser le médecin payer.Un tel site est-il réalisable ?
Techniquement, c’est un jeu d’enfant. Mais si c’est aux médecins eux-mêmes de déclarer leurs intérêts, le projet risque de ne pas aller loin. L’idée serait que ces déclarations soient mises en ligne par les industriels. S’ils risquent des amendes en cas de manquement, ils ne vont pas se défiler.Si un site recensant les conflits d’intérêts avait existé, pensez-vous que le scandale du Médiator aurait eu lieu ?
Un site ne l’aurait sans doute pas empêché. Mais le docteur Irène Frachon n’aurait pas été prise pour une folle si longtemps. Si on avait pu avoir connaissance plus tôt et plus simplement des liens entre ses détracteurs et les laboratoires Servier, ils auraient très vite perdu en crédibilité.Concernant la naissance de ce site, êtes-vous confiant ?
Pas vraiment. En fait, j’ai l’impression qu’il s’agit là d’une annonce ministérielle de plus. Une sortie facile sur un projet que tout le monde attend. La loi existe déjà. Ce qu’on voudrait maintenant c’est un décret d’application, une date, des précisions. Cela demanderait à la classe politique du courage. Mais les discussions préparatoires qui vident le texte de son sens et qui ont vu les représentants de la revue Prescrire et du Formindep claquer la porte ne semblent pas aller dans cette direction.
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