L’alerte date de 2005 et porte un nom : le rapport Pébereau. Ce document commandé par le gouvernement fait mouche. Le poids de la dette est passé de « 21 % du produit intérieur brut (PIB) en 1980 à 64,7 % en 2004 ». Il s’agit ici de la dette publique selon la définition européenne. C’est-à-dire des dettes de l’Etat, des organismes de Sécurité sociale et des collectivités locales réunies. La comparaison avec le PIB, qui mesure la richesse produite chaque année par un pays, est habituelle. Mais rapporté au nombre d’habitants, le ratio en devient presque effrayant. En effet, les 1 100 milliards d’euros de dette publique représentent une ardoise d’environ 18 000 euros par Français. Et le rapport Pébereau en remet une couche. Selon l’audit des comptes de la France, la poursuite des tendances actuelles conduirait à « des taux d’endettement astronomiques de 130 % en 2020 et de près de 400 % en 2050 ».
La France au bord de la faillite ?
En réalité, la France affiche une dette publique inférieure à la moyenne de la zone euro (66,6 % contre 70,8 %, en 2005). L’Italie se situe au-dessus (106,6 %) et l’Allemagne au même niveau (67,9 %). Les Etats-Unis affichent un endettement public à 64,1 % du PIB et le Japon culmine à 172 %. Et pourtant, personne ne parle de faillite pour ces deux pays ! « De toute façon, c’est un terme impropre. Un Etat d’un pays riche ne peut pas faire faillite car il peut toujours lever des impôts pour augmenter ses recettes », fait remarquer Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). C’est pour cette raison que les fonds de pension achètent des obligations d’Etat, c’est-à-dire des emprunts émis par l’Etat. Même Denis Ferrand, son confrère de Rexecode, un institut proche du Medef l’admet : la dette publique n’est pas mauvaise en soi. « Il est normal que l’Etat s’endette dans la mesure où cela finance des recherches, des infrastructures. On peut comparer cette démarche à celle d’une entreprise qui emprunte pour investir », décrypte-t-il.
Reste à savoir si, en France, la dette publique a servi à financer des investissements. « Non », affirme le rapport Pébereau pour qui l’endettement a été utilisé pour payer les dépenses courantes. Une analyse contestée en bloc par Henri Sterdyniak de l’OFCE : « Cet argent n’a pas été gaspillé. Si nos services publics n’étaient pas efficaces, la France ne serait pas le troisième pays d’accueil des investissements étrangers. » Mais, la comptabilité n’aide pas à trancher le débat. Car « l’actif » - le patrimoine - des administrations publiques est difficile à évaluer. Comment estimer la valeur de la Joconde, du Mont Saint-Michel ou encore celle induite par des routes bien entretenues ?
L’Insee est parvenu à un chiffre, considéré comme minimal, de 1 960 milliards d’euros de patrimoine en 2005. Soit un montant supérieur à celui de l’endettement (plus de 30 000 euros par Français). Mais les pourfendeurs de la dette publique se gardent bien de mentionner la valeur des actifs de l’Etat. Ils omettent aussi de signaler que les ménages détiennent une grande partie de la dette publique. Les Français placent très souvent leurs économies dans des contrats d’assurance-vie. Or, ces derniers contiennent beaucoup d’obligations d’Etat. Lorsque les administrations payent les intérêts de leur dette, une part file dans la poche des détenteurs de ces contrats. Autant d’actifs dont les générations futures hériteront également.
Complexité et calculs politiques
Cependant, au jour le jour, le poids de l’endettement n’est pas négligeable dans le budget de l’Etat. Les intérêts de la dette constituent ainsi le deuxième poste des dépenses publiques, derrière l’Education nationale. En outre, en cas de remontée rapide des taux d’intérêt - le loyer de l’argent -, la situation pourrait se corser. « Le danger, c’est l’effet boule de neige, lorsqu’il faut s’endetter... pour payer les charges d’intérêt », avertit Denis Ferrand de Rexecode. Naturellement, plus la dette est faible, moins l’Etat s’expose à ce genre de mésaventure. C’est en ce sens que les critères européens, qui imposent une dette publique inférieure à 60 % du PIB, ne sont pas si aberrants. Limiter la dette publique offre en fait davantage de marge de manœuvre à un gouvernement. La question est de savoir si la réduction de la dette doit être une priorité en France. Il n’y a pas d’urgence du point de vue économique tant que les taux restent bas. En fait, l’enjeu est politique. L’actuel gouvernement envisage, grâce à une stagnation des dépenses de l’Etat, de faire baisser la dette publique à 63,6 % du PIB en 2007. Les élections passées, que fera le prochain gouvernement ?
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