En France, les pets et rots de vaches représentent 5% des émissions de gaz à effet de serre. Sur la liste noire des coupables du réchauffement climatique, l’élevage, responsable de 18% des émissions mondiales, dépasse même les transports. De solides arguments pour les végétariens. Pourtant, même sans réduire la taille des troupeaux, ces quantités de gaz pourraient diminuer. Car, si les vaches sont ballonnées, c’est qu’elles manquent d’oméga 3. A l’origine de cette carence : le très classique cocktail maïs-colza-soja qui compose trop souvent leur alimentation. Un menu auquel il suffirait d’ajouter de la luzerne, du lupin ou du lin pour voir les émissions de méthane diminuer de 15% à 30%. Mais à 700 euros la tonne de lin, l’argument écologique ne suffit pas à convaincre les éleveurs. Alors, des associations telles que Bleu-Blanc-Cœur inventent d’autres incitations.
Désormais, un agriculteur qui nourrit son troupeau avec du lin ou des protéagineux, ces aliments riches en protéines et oméga 3, recevra 100 euros par tonne d’équivalent CO2 épargnée à l’atmosphère. Le dispositif, créé par la société d’alimentation bovine Valorex et soutenu par l’Etat, repose sur une découverte des chercheurs de l’Inra (Institut national de recherche agronomique). Ceux-ci ont établi un lien entre la composition du lait et les flatulences d’une vache. Finies donc les expérimentations avec hublots sur l’estomac, aujourd’hui de simples analyses laitières suffisent à mesurer les gaz rejetés.
Une recette qui ne date pas d’hier
Selon Pierre Weill, le directeur de Valorex, un élevage de 50 bêtes nourries avec du lin peut voir ses émissions d’équivalent CO2 diminuer de 27 tonnes par an. Pour la planète, cela revient à faire l’économie de 20 voitures roulant chacune 10 000 kilomètres. Pour l’éleveur, cela représente un gain de 2 700 euros en « monnaie CO2 » . Perçue en bon d’achat, cette somme pourra être dépensée en équipement agricole ou dans la grande distribution. De quoi accélérer les conversions. « Dans l’idéal, on aimerait que 10% du lait français vienne d’élevages ayant fait le choix de ce type d’alimentation d’ici à trois ans », précise le co-directeur de Bleu-Blanc-Cœur. Mais jusqu’à présent, seules quelques centaines d’exploitations sont concernées. Et ce bonus n’est pas illimité. « Les partenaires qui financent le système ne seront jamais assez nombreux pour que les 72 000 éleveurs français puissent en bénéficier », reconnaît-on chez Bleu-Blanc-Cœur. Alors, pour qu’une alimentation « anti-effet de serre » se généralise, d’autres mécanismes doivent entrer en jeu.En France, 500 éleveurs n’ont pas attendu « la monnaie CO2 » pour changer de régime. Souvent, c’est la santé des animaux qui a dicté leur choix. Dans le Morbihan, Jacques Le Clerc nourrit ses bêtes au lin depuis plus de dix ans. A l’époque, l’effet de serre n’avait rien à voir dans tout ça. « J’ai voulu faire comme mon grand-père, se souvient le producteur de viande, donner du lin pour avoir un meilleur troupeau. » Dans l’auge de ses bêtes, il ajoute alors 1/6 de la portion classique en luzerne ou en lin. Résultat : ses animaux grossissent plus vite et le vétérinaire vient moins souvent. « L’argent qu’on perd sur la nourriture, on le gagne sur la santé », souligne l’éleveur satisfait. Pour les producteurs laitiers aussi, le changement a du bon. Selon la revue Réussir agricole et rural, quand les vaches reçoivent des rations de lin, leur production de lait augmente de 4% à 6%. En bout de chaîne, les éleveurs rentrent dans leur frais.
Les consommateurs à la traîne
Mais selon Pierre Weill, ces bénéfices à long terme ne suffisent pas à les persuader. « Comme le retour financier n’est pas immédiat, les agriculteurs ont du mal à franchir le pas », constate-t-il. Pourtant côté clientèle aussi, les producteurs peuvent être gagnants. « Derrière la santé de l’animal, il y a celle des humains », martèle Jacques Le Clerc. A l’époque de la traçabilité, sa formule à de quoi séduire. D’ailleurs, depuis dix ans, cet adepte de la vente directe a gagné des clients. A Montauban (Tarn-et-Garonne), Michel Cantaloube nourrit lui aussi ses bêtes avec des protéagineux. Converti il y a deux ans, le producteur laitier vient de franchir une nouvelle étape en s’équipant, comme 3 000 agriculteurs français, d’un compteur CO2. Pourtant, dans l’ordre de ses motivations, la qualité de ses produits arrive loin devant l’environnement. « C’est cette qualité qui nous permet de fournir le ministère de l’Agriculture et, à Toulouse, la clinique Pasteur », se félicite l’éleveur.Mais, pour ces produits haut-de-gamme, la demande reste marginale. Et les éleveurs ne négocient pas sur le prix. « On ne peut pas payer de la nourriture riche en omégas 3 aux vaches et continuer à vendre la viande ou le lait au même prix », soupire Jacques Le Clerc, « ce serait comme faire du bio sans contrepartie ». Alors, entre le prix d’un côté, l’environnement et la qualité de l’autre, c’est à l’acheteur de trancher. « La grande difficulté c’est le consommateur, ce qu’il veut bien acheter, ce qu’il veut bien payer », résume Philippe Determ, directeur général de Nestal. Des Vosges à l’Aisne, son groupe nourrit 300 000 bovins. Au menu ? Ni luzerne, ni lin. Un « choix contraint », explique le chef d’entreprise. Car, pour des produits plus chers, la demande ne suit pas. Dans la région, les initiatives pour inciter les éleveurs à changer leurs pratiques sont balbutiantes. « Ici, il n’y a guère que le label Bleu-Blanc-Cœur pour faire la différence, et encore on ne le voit pas dans tous les supermarchés », déplore Philippe Determ.
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