Maxime Combes est économiste, membre d’Attac France et auteur de Sortons de l’âge des fossiles (Seuil, 2015).
Ont d’abord été appelés climatosceptiques ceux qui niaient l’existence même du changement climatique. Puis la catégorie a été étendue à ceux qui niaient son origine humaine. Ces marchands de doute – pour reprendre le terme qu’utilisent Naomi Oreskes et Erik Conway dans le livre qu’ils leur ont consacré (1) – nient l’évidence et les preuves scientifiques pour tenter de semer la confusion dans l’opinion publique. On en trouve de moins en moins. Notamment en Europe où il n’y a plus grand monde de sérieux pour contester les preuves apportées : 97% des études scientifiques confirment que le changement climatique est une réalité et qu’il est le fruit des activités humaines.
La principale ligne de fracture s’est déplacée. Elle ne sépare plus ceux qui nient la réalité climatique de ceux qui l’acceptent. Si cette ligne de fracture peut rester pertinente dans certains cas, notamment aux Etats-Unis, elle n’est plus vraiment appropriée pour rendre compte des controverses qui structurent les débats politiques, économiques et scientifiques autour de l’urgence climatique. Notamment au sein de la COP21. La principale ligne de fracture sépare désormais ceux qui endossent les préconisations scientifiques pour rester en deçà des 2°C, ou 1,5°C de réchauffement, et ceux qui les nient ou qui agissent comme s’ils pouvaient y échapper.
Il faut geler 80% des réserves d’énergies fossiles connues
Que disent les climatologues ? Que prendre au sérieux le réchauffement climatique et cette barre des 2°C implique de geler 80% des réserves d’énergies fossiles connues. Ce qui revient à dire qu’il nous faut apprendre à vivre sans brûler des énergies fossiles dangereusement surabondantes. Deux des chercheurs qui ont établi ces résultats (2), Christophe McGlade et Paul Ekins, proposent que toutes les réserves d’hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz des grandes profondeurs océaniques, pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux, hydrocarbures des régions arctiques, etc.) soient classées comme « non brûlables ». Ils proposent ainsi une forme de moratoire international sur toute nouvelle exploration et toute nouvelle mise en exploitation d’énergies fossiles. Une proposition qui ne fait malheureusement pas partie des options du texte de négociation à la COP21.
Décideurs politiques et économiques sont de plus en plus nombreux à se déclarer convaincus de « l’urgence à agir ». Mais rares sont ceux qui acceptent de reprendre à leur compte ce qui constitue pourtant une recommandation scientifique clairement établie, étayée, démontrée par les experts du climat. Ils ne nient pas le réchauffement climatique. Du moins pas publiquement. Ils nient l’urgence de geler la majorité des réserves fossiles. Ainsi, aucun chef d’Etat n’y a fait référence lors de la journée d’ouverture de la COP21.
Dans le Robert
Pour le dictionnaire du Robert, qui vient d’introduire le terme dans son édition 2016, est climatosceptique une personne qui « met en doute les théories les plus répandues concernant le réchauffement climatique ». Laisser une majorité d’énergies fossiles sous terre fait désormais partie de ces « théories les plus répandues ». Ce n’est pas une option parmi d’autres, mais la condition de possibilité pour ne pas déclencher un emballement climatique sans précédent. Nous proposons donc d’appeler « climatosceptiques » celles et ceux qui s’y refusent, qui sont dans le déni, qui tergiversent ou qui doutent de la nécessité de geler une majorité des réserves fossiles.
Ils sont nombreux. Ce sont les climatosceptiques de l’ère moderne. Ils claironnent devant tous les micros qu’ils sont déterminés à agir, mais leur détermination se fracasse à l’épreuve des faits, là où les décisions climaticides l’emportent bien souvent sur les véritables politiques de lutte contre les dérèglements climatiques. Face à l’état d’urgence climatique auquel nous sommes confrontés, il est essentiel de débusquer ces climatosceptiques d’un nouveau genre. Ils nous font perdre du temps et de l’énergie : pour enclencher la transition, il nous faut commencer par arrêter de forer de nouveaux gisements pétroliers, gaziers et charbonniers ! Une décision qui ne viendra pas de la COP21.
(1) Naomi Oreskes, Erik Conway, Les marchands de doute (éd. Le Pommier, 2012)
(2) Christophe McGlade et Paul Ekins, « The geographical distribution of fossil fuels unused when limiting global warming to 2°C », Nature, n° 517, 8 janvier 2015, p. 187-190.
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