Delphine Batho, a été débarquée de son ministère mardi 2 juillet. Tout est allé très vite. Dans le week-end, elle apprenait que le budget dédié à l’écologie était en diminution de 7%. Lundi 1er juillet, sur RTL, elle estimait que le budget 2014 était « mauvais », puis, recevait, dans l’après-midi, une convocation à Matignon. François Hollande, « sur proposition du Premier ministre » a mis fin à ses fonctions. C’est le député socialiste du Gers Philippe Martin qui devient ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. |
(Interview réalisée en août 2012) Nous sommes en mai 2017. Après cinq ans de « transition écologique », comment imaginez-vous la France ?
Je l’imagine comme un des pays les plus avancés au monde en termes de reconquête de la biodiversité. Je l’imagine ayant mené une grande politique de sobriété énergétique, vertueuse pour la lutte contre le changement climatique, mais aussi pour le pouvoir d’achat et l’emploi, traduisant ce que doit être l’écologie sociale et concrète. Je l’imagine engagée sur de bons rails pour étendre les énergies renouvelables et ayant développé des savoir-faire, des technologies et des filières industrielles dans ce domaine.
Tout cela est-il possible ou va-t-il falloir choisir ?
C’est possible. C’est l’objectif de la mutation écologique qu’il faut accélérer. On est dans une situation de crise qui se durcit. Ça ne doit pas conduire à se dire que l’écologie, c’est pour plus tard. Au contraire, les choix qui conduisent à relocaliser notre production industrielle, à réorganiser nos modes de production et nos modes de vie participent d’une croissance sélective, intensive en emplois. Les choix de court terme doivent être cohérents avec les enjeux à plus long terme, surtout face au changement climatique et à la raréfaction des ressources.Pendant la campagne, François Hollande avait déclaré à Terra eco qu’il fallait au gouvernement un n° 2 chargé du développement durable, « un ministre au large champ : celui de l’énergie, des transports, du logement, des grandes infrastructures et capable d’avoir prise sur les questions fiscales ». Aujourd’hui, ces fonctions sont réparties entre plusieurs ministres. L’ambition est-elle revue à la baisse ?
Non. Ça veut dire qu’on l’organise différemment. Tout n’est pas concentré dans un seul ministère mais il y a eu un choix très fort : rassembler l’écologie et l’énergie, ce qui n’était pas le cas durant les dix-huit derniers mois du gouvernement précédent. Les trois derniers mois, il n’y avait même plus de ministre de l’Ecologie ! Ce qui prévaut dans l’organisation du gouvernement, c’est l’esprit d’équipe. C’est aussi la volonté de passer à l’acte. C’est l’objectif de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre.
Ce n’était pas le cas du Grenelle ?
La méthode de concertation du Grenelle est un acquis. Il y a eu des avancées, mais le Grenelle a été enterré lorsque Nicolas Sarkozy a dit : « L’environnement, ça commence à bien faire. » Et puis les sujets difficiles avaient été évacués, il y avait un manque de lisibilité des priorités. Faute de moyens, il y a eu une traduction surtout réglementaire. Avec la conférence environnementale, nous voulons nouer un nouveau partenariat écologique et inscrire notre action dans la durée. La conférence sera annuelle. Ce n’est pas juste un moment fort et derrière des déceptions. C’est la volonté d’un travail sérieux et concret sur le quinquennat. Et nous avons deux priorités claires : la transition énergétique et la biodiversité.Cette conférence sera, dit-on, celle de la méthode…
Sur la transition énergétique, oui, et je l’assume. C’est là que nous allons fixer les règles du débat national qui s’engagera à partir de cet automne et qui débouchera à la fin du premier semestre 2013 sur un projet de loi de programmation pour la transition énergétique. Il s’agit d’avoir un grand débat démocratique avec toutes les parties prenantes : les ONG, les syndicats de salariés, les entreprises, les élus, les experts et les scientifiques, et surtout avec les citoyens. Ce débat doit permettre la participation de tous, et il s’organisera de façon décentralisée. Il s’agit de faire des grands choix pour l’avenir de la nation, mais aussi de favoriser un changement culturel, une modification des comportements.Les enjeux de la politique de l’énergie sont considérables – impact sur le changement climatique, pour l’indépendance de la France et sa sécurité d’approvisionnement, pour le déficit de la balance commerciale et la compétitivité de notre économie –, et ce débat n’éludera aucun de ces aspects. Mais, à mes yeux, la priorité numéro un, c’est la sobriété et une grande politique d’efficacité énergétique. Sur les énergies renouvelables, nous définirons aussi des règles du jeu stables pour la durée du quinquennat. Ces dernières années, les changements incessants des règles, tarifs de rachats, moratoires et autres, ont profondément déstabilisé les entreprises. La France a pris du retard.
Ne craignez-vous pas qu’en choisissant la biodiversité comme thème majeur de la conférence on ressorte l’éternel cliché de la protection des petites fleurs et des paysages ?
Eh bien, vive les petites fleurs et les paysages ! Ce n’est pas ringard et les Français ont au contraire soif de contact avec la nature et toutes ses beautés. Une politique de la biodiversité, ce n’est pas de mettre la nature sous cloche, car la biodiversité c’est, comme me le disait un chercheur, « une bicyclette en perpétuel mouvement et dont il ne faut pas perturber l’équilibre ». C’est pourquoi je préfère la notion de « reconquête » de la biodiversité à celle de « préservation ». Le problème, c’est qu’aujourd’hui, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on est confrontés à un changement global : la problématique du changement climatique s’ajoute à celle de la perte de biodiversité, avec une interaction très forte entre les deux.Après le Grenelle, on devait réduire l’usage des pesticides. La consommation a augmenté…
Le plan Ecophyto 2018 prévoyait en effet une réduction de moitié de l’usage des pesticides ; il y a eu une augmentation de 2,5 %. J’ai souhaité que la question du lien entre la santé et l’environnement soit pour la première fois discutée lors de la conférence environnementale dans une approche nouvelle. Le bisphénol, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, la pollution de l’air sont des sujets majeurs de santé publique.Y a-t-il une annonce-phare à attendre de la conférence environnementale ?
Oui. La volonté, c’est de placer le dialogue environnemental au même niveau que le dialogue social. On ne vient pas avec des décisions construites d’avance. Mais, s’il y a aujourd’hui une grande politique à laquelle nous travaillons d’arrache-pied avec Cécile Duflot (ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, ndlr) pour passer à l’acte dans les prochains mois, c’est celle de l’isolation thermique des logements anciens. Le président de la République s’est engagé sur l’idée qu’il puisse y avoir un million de logements chaque année – la moitié neufs, la moitié anciens – qui correspondent à cette volonté-là. C’est l’exemple même d’une grande politique vertueuse écologiquement, socialement pour le pouvoir d’achat, et économiquement car elle créera ou préservera des emplois dans un secteur économique stratégique, celui du bâtiment et de la construction.Faut-il créer une filière spécifique ?
Non. On a des savoir-faire, notamment avec l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ndlr). Les artisans et les entreprises maîtrisent les techniques. Je ne crois pas à l’idée qu’on aurait un déficit de compétences. On doit être capables d’accélérer et de mettre le paquet.
Détaillons les sujets énergétiques. Sur les gaz de schiste, où en est-on ?
La fracturation hydraulique, qui est la seule technique d’exploitation des gaz de schiste, est et restera interdite. En l’état actuel des techniques, les risques pour l’environnement comme pour la santé sont avérés.
Faut-il continuer à rechercher d’autres techniques ?
Ça, c’est la liberté des industriels. Je n’ai jamais soutenu l’idée qu’il ne faudrait pas faire de recherches, quel que soit le sujet. En l’état actuel des choses, il n’a été montré nulle part qu’il pouvait exister des techniques d’exploitation qui ne posaient pas de problème pour l’environnement et la santé. Le jour où la démonstration inverse sera faite, il y aura peut-être un débat citoyen. Pour ma part, je ne crois pas que l’avenir de la politique énergétique, ce soit de nouveaux hydrocarbures. Et je constate, pour le regretter, que l’on parle d’autant plus des gaz de schiste que la perspective d’un accord mondial contraignant sur la lutte contre les gaz à effet de serre s’éloigne. Je souhaite que la France soit en pointe dans la lutte contre le changement climatique.Au large de la Guyane, Shell réalise des explorations en vue d’éventuels forages pétroliers. Peut-on imaginer autre chose après l’exploration ?
Il y a des explorations, il y a une commission de suivi entre les élus et les associations qui est mise en place. Je ne connais pas le résultat d’avance. Le déficit de la balance commerciale atteint 61,4 milliards, notamment à cause des hydrocarbures. La politique du gouvernement, c’est d’abord de soutenir massivement le développement des véhicules électriques et hybrides. C’est une stratégie qui vise à décarboner le secteur automobile. En attendant que ces stratégies aient abouti, on a toujours besoin de mettre de l’essence dans les moteurs. Si on peut réduire le déficit de la balance commerciale, cela fait aussi partie des enjeux.Peut-on imaginer un débat public avant l’exploitation de ces ressources ? Cela peut-il faire partie de la réforme du Code minier ?
L’objet de la réforme du Code minier est le respect de la Constitution et de la Charte de l’environnement qui prévoit l’information préalable du public sur tous les projets ayant un impact sur l’environnement. S’il fallait s’engager sur une exploitation de la ressource, ce principe fondamental devra être respecté. J’espère que les travaux du groupe de travail piloté par Thierry Thuot, conseiller d’Etat et ancien rapporteur général du Grenelle, aboutiront à un texte de projet de loi d’ici à la fin de l’année, après toutes les concertations nécessaires.Quid du nucléaire ?
Sur le nucléaire, la campagne présidentielle a permis de soumettre démocratiquement nos engagements aux citoyens. Il ne s’agit pas de sortir du nucléaire, mais de réduire sa part dans la production d’électricité de 25 points à horizon 2025, en passant de 75 % à 50 %. Sur la durée du quinquennat, nous procèderons à la fermeture de Fessenheim (plus vieille centrale française, dans le Haut-Rhin, ndlr), nous achèverons l’EPR de Flamanville (Manche) et nous n’engagerons pas de projets de construction de nouveaux réacteurs.Une mesure a été proposée par plusieurs associations : l’arrêt des aides pour l’achat de carburant pour les transporteurs. Cela peut-il faire partie des premières mesures de la transition ?
Sur le secteur de l’aviation, cela ne paraît pas possible à court terme au regard de la situation de nos entreprises et du fait qu’elles s’acquittent déjà d’une forme de taxe carbone avec la directive européenne ETS (1). Il faudrait un dispositif mondial comparable qui s’impose à toutes les compagnies. Pour les autres dispositions fiscales, nous en parlerons lors de la conférence environnementale.On a vu, durant l’été, tous les efforts déployés par le gouvernement pour aider le secteur automobile national. N’est-ce pas incompatible avec ces vœux de transition ?
L’enjeu stratégique, je le répète, c’est le véhicule propre ou le moins polluant possible. Tels que les modes de vie sont organisés aujourd’hui, je crois difficile de se défaire du véhicule individuel, je le dis d’autant plus que je suis élue d’un territoire rural. L’enjeu est d’orienter les consommateurs et les constructeurs vers ces véhicules.D’eux-mêmes, les constructeurs ne le font pas ?
Ces entreprises privées ont fait des choix stratégiques, ont retenu des plans de licenciements qu’elles avaient sous le coude depuis longtemps. Plusieurs milliards d’euros ont été investis dans l’automobile ces dernières années… pour en arriver là ! Que peut faire la puissance publique ? Outre ce qu’elle doit faire en matière de respect des règles, c’est orienter l’achat, par exemple vers la Mia, fabriquée à Cerizay (Deux-Sèvres), la Zoé, à Flins-sur-Seine (Yvelines) ou encore la 3008, assemblée à Sochaux (Doubs).Autre débat entre long terme et réalités de court terme : le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Comment l’arbitrer à moyen terme ?
Les recours juridiques doivent arriver à leur terme.Mais cet aéroport s’inscrit-il dans la transition écologique ?
Je vous ai répondu. Respectons l’engagement qui a été pris et la concertation qui a eu lieu localement au début du mois de mai (2). Nous ne sommes pas arrivés au terme de ce processus.Avez-vous prévu des mesures qui favorisent le « made in France » ?
Oui, avec Arnaud Montebourg (ministre du Redressement productif, ndlr), notre volonté, c’est de favoriser la relocalisation industrielle et de développer les circuits courts à grande échelle.Ça existe déjà un peu côté alimentaire…
Les démarches qui existent au plan local, notamment dans les cantines scolaires, doivent monter en puissance. Il est dommage d’importer un certain nombre de produits bios parce que la croissance de la demande est largement supérieure à celle de l’offre. Sur les céréales, notamment, on a vraiment des grandes marges de progression. Sur le bio aussi, sur les produits locaux, sur les produits de proximité et de qualité.Retour en 2017. Vous vous imaginez dans le même bureau ? Le poste a beaucoup changé d’occupant dernièrement…
Je ne sais pas où je serai dans cinq ans. Mais je sais qu’une action efficace a besoin de durée. Je veux réussir des changements en profondeur, remettre en marche ce ministère, qu’il y ait des progrès écologiques irréversibles. Cela fait longtemps qu’il n’y pas eu ce sentiment d’arracher des conquêtes, de franchir des caps. C’est ça, mon objectif, pas mon destin personnel. —(1) « Emissions trading scheme ». Système de quotas carbone lancé en Europe en 2005.
(2) L’accord prévoit que « tous les habitants, exploitants et propriétaires ayant un titre au moment de la déclaration d’utilité publique du 9 février 2008 ne sont pas expulsables tant que les procédures juridiques engagées au Conseil d’Etat, à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel ne sont pas épuisées ».
En dates
1973 Naissance à Paris
1988 Adhère à SOS Racisme
1994 Adhère au Parti socialiste
2004 Secrétaire nationale du PS chargée de la sécurité
2007 Elue députée des Deux-Sèvres
16 mai 2012 Nommée ministre déléguée à la Justice
21 juin 2012 Nommée ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie
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