Arnaud Gossement est avocat en droit de l’environnement et Peggy Kançal est conseillère régionale d’Aquitaine.
Ce n’est pas la première fois que l’Etat organise un débat national sur l’énergie. Souvenons-nous du « débat national sur l’énergie et l’environnement » organisé en 1994 ou, surtout, du débat organisé en 2003, en prélude au vote de la loi « POPE » (loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique de la France) du 13 juillet 2005. Ce n’est pas non plus la première fois que l’Etat organise un débat en ayant recours à la technique du « Comité des sages » pour convaincre de la sincérité et de l’équilibre des échanges à venir. Un comité de trois sages – Pierre Castillon, Mac Lesggy, Edgar Morin – avait en effet rédigé un rapport de conclusion du débat national sur les énergies, en 2003. Un rapport intéressant mais, depuis lors, il semblait que la figure du « sage » avait été enfin dépassée au profit d’une démocratie participative plus mûre dont les citoyens sont traités en adultes. Personne n’imagine que le dialogue social soit chapeauté par un « comité des sages ». Considérer les partenaires environnementaux – pas assez sages ? - à la même hauteur que les partenaires sociaux devait conduire à perfectionner le dispositif de la gouvernance à cinq, pas à revenir en arrière, à 2003. Au surplus, quitte à constituer un comité, le gouvernement aurait pu convoquer des expertises plurielles et étrangères : ainsi Tim Jackson, économiste et penseur visionnaire de la croissance, ou encore Jeremy Rifkin, promoteur de la troisième révolution industrielle, auraient insufflé une réelle innovation aux débats.
Faisant le choix contraire, le gouvernement a nommé six Français dont aucun ne provient de l’industrie des renouvelables mais dont deux ont fait carrière dans le nucléaire, et s’écarte de fait des conditions nécessaires à « une éthique de la discussion ». Il aurait été bien plus pertinent de désigner un collège de personnalités qualifiées plus nombreuses et à même d’éclairer les travaux des cinq collèges de parties prenantes. Il aurait été plus judicieux de pouvoir ainsi bénéficier de regards étrangers et de compétences scientifiques variées : physique, économique, mais aussi sociologique, juridique par exemple. Certes, au « comité des sages » seront associés un « comité citoyen » et un « comité des experts scientifiques » qui pourront peut-être témoigner de cette diversité. Quel dommage cependant d’avoir fractionné ces comités au risque d’affaiblir et de compliquer le débat entre les différents acteurs.
Faire mieux que l’avant-Grenelle
Il aurait été utile, non pas de revenir à l’avant-Grenelle mais de faire mieux. En en tirant les leçons. L’une d’elle tient à ce que nous ne pouvons plus avoir de débats publics sur l’environnement ou l’énergie sans tenir compte du fait que les objectifs et les principes de ces politiques soient élaborés au sein des institutions de l’Union européenne. En clair, l’expression même de « débat national sur l’énergie » n’a pas de sens, tant cette problématique est avant tout européenne, voire mondiale. L’honnêteté commande de dire par avance aux participants que ce nouveau débat national sur l’énergie ne peut pas avoir pour objet de redéfinir les objectifs de la politique énergétique de la France : ceux-ci le sont au niveau européen et ils sont déjà connus depuis l’entrée en vigueur du paquet européen énergie climat de 2009. C’est la règle des 3x20 : 20% d’efficacité énergétique de plus, 20% d’énergies renouvelables de plus, 20% d’émissions de gaz à effet de serre de moins. De la même manière, les questions techniques, bel et bien cruciales, des schémas de raccordement au réseau électrique (intégration croissante des énergies renouvelables) sont pertinentes aux échelons interrégionaux et européens ; les 40 gestionnaires de réseaux en Europe travaillent d’ailleurs dans ce cadre-là. Un débat « national » sur l’énergie ne peut permettre de remettre en cause ou de déroger à des objectifs fixés ailleurs. Il ne peut avoir pour but que la définition des moyens de transposer, de décliner ces objectifs au plan national. Ou d’aller plus loin. Mais le défi du gouvernement sera alors de dépasser la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009, pourtant votée par l’actuelle majorité.Autre limite d’un débat « national » : la place des collectivités territoriales. Quelle sera la réelle prise en compte des objectifs déjà déclinés et actés en régions ? Certaines politiques régionales climat-air-énergie ont en effet pris une orientation marquée en faveur de la décentralisation énergétique, en soutenant notamment des démarches d’autosuffisance énergétique de territoires ruraux et d’approvisionnement tendant vers les 100% renouvelables : c’est le cas en Bretagne, Aquitaine, Rhône-Alpes. Il ne fait aucun doute que les collectivités doivent jouer à l’avenir un rôle grandissant en matière de l’énergie. Une tendance à laquelle l’Etat central résiste fortement. La soumission des éoliennes à la police des installations classées, le pilotage des schémas régionaux du climat de l’air et de l’énergie par les préfets de région, la gestion centralisée des réseaux, la concentration encouragée de la filière solaire : il est temps de changer de modèle et d’admettre que les énergies propres ou économisées le sont d’abord de manière décentralisée, en tenant compte des richesses et spécificités de chaque territoire. C’est là que se jouent nos avenirs.
Un débat sur quoi ?
Les questions, assez générales, soumises au débat national sur l’énergie, ont été écrites dans la feuille de route établie au lendemain de la conférence environnementale. Avant même d’avoir commencé, le débat est encadré par plusieurs jalons posés par le gouvernement. Au risque que plusieurs sujets ne puissent être complètement traités. C’est notamment le cas des tarifs d’achat de l’énergie. C’est ainsi que la grande réforme de la tarification progressive de l’énergie a été engagée au Parlement sans attendre le débat national de l’énergie ni même la conférence environnementale. Le tarif d’achat de l’énergie éolienne reste suspendu à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne que le gouvernement ne veut pas anticiper. Le tarif d’achat de l’énergie solaire a été l’objet de nouveaux projets de textes qui seront publiés avant le début du débat. De manière plus générale, le gouvernement a déjà fixé sa position sur la question centrale du coût de l’énergie : il déclare se battre pour en maintenir l’augmentation pourtant inéluctable. Une autre approche, qu’il refuse, aurait été d’accompagner cette hausse en agissant, par exemple, sur le levier fiscal au moyen d’une contribution climat énergie.Autre sujet dont le gouvernement vient de compliquer le traitement : le nucléaire. Qualifiée de « filière d’avenir » par plusieurs ministres, elle est fortement représentée au sein du comité des sages, notamment par Anne Lauvergeon. En toute hypothèse, l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production nationale d’électricité a déjà été fixé par le chef de l’Etat – passer de 75% à 50% d’ici à 2025 ainsi que le moyen d’y arriver : fermeture de Fessenheim en 2016. Quant à la controverse des gaz de schiste, elle devrait relever davantage de la discussion du projet de loi sur le code minier attendu mi-décembre en Conseil des ministres. S’agissant de l’éolien : la décision du gouvernement de maintenir le classement ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement, ndlr), le rejet par le Sénat de la proposition de loi Brottes qui comportait quelques mesures d’urgence font craindre un surplace. Dans ces conditions, le risque existe que les échanges de 2013 ressemblent à ceux de 1994, de 2003, de 2007 ou de 2012 lors de l’élaboration des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie. Or de nombreuses régions s’étaient clairement opposées, à l’été 2011, à une circulaire réduisant la capacité d’initiative et la sphère de compétence des conseils régionaux dans le domaine de la planification énergétique.
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