A comme Autoréduction
Robin des bois est andalou. Le 7 août dernier, près de Séville, en Espagne, des militants remplissent une vingtaine de chariots d’aliments de base, partent sans payer, et redistribuent leurs « courses » à des indigents. « Ce n’est pas un vol », justifie alors leur leader, Juan Manuel Sánchez Gordillo, maire de Marinaleda et membre du Syndicat andalou des travailleurs. « Un vol, c’est ce que font les banques qui achètent de la dette à la Banque centrale européenne à 0,7 % et la vendent à l’Espagne à 7 %, déclare-t-il au Monde, le 29 août. Ce que nous avons fait est un acte d’insoumission pour dénoncer le fait qu’il existe des familles qui ne peuvent pas se payer de quoi manger. » Ces mouvements d’« autoréduction » se multiplient dans l’Europe en crise, comme à Rennes (Ille-et-Vilaine), aux Galeries Lafayette, en 2008. Dans l’Allemagne des années 1930, puis l’Italie des années 1960-1970, les ouvriers faisaient aussi la grève des loyers, ou des factures de gaz et d’électricité.
B comme Biens communs
« La tragédie des communs », ce n’est pas une pièce de Shakespeare, mais un article signé Garrett Hardin, en 1968. Ce biologiste américain y prend l’exemple de la dégradation des « commons » – les pâturages partagés par les villageois depuis l’époque médiévale. Leur « privatisation » permit le décollage de la production agricole en Angleterre. Erigée en théorie, l’hypothèse fit beaucoup pour la promotion d’un libéralisme décomplexé. Mais elle a depuis été réfutée, notamment par l’Américaine Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009. S’appuyant sur des exemples au Kenya, en Suisse, en Turquie ou aux Etats-Unis, elle a démontré que des communautés qui géraient collectivement leurs ressources (halieutiques, forêts, terres, eau) parvenaient à le faire de façon plus équitable et durable que des communautés comparables ayant opté pour leur privatisation.
C comme Cantine scolaire
Attention, frites gratuites. Drancy, en Seine-Saint-Denis, offre, depuis 2007, le déjeuner aux enfants des écoles primaires, suivi ensuite par Dugny et Le Bourget, dans la même communauté de communes. Cela représente 8 000 repas par jour et 4,7 millions d’euros, financés sans augmentation des impôts locaux. « Le combat politique est simple : proposer au moins un repas équilibré par jour aux enfants quel que soit le milieu social, et éviter la malnutrition dans les milieux populaires », indique la mairie dirigée par Jean-Christophe Lagarde (UDI). Dans cette commune populaire de 64 500 habitants – le revenu moyen mensuel s’y élève à 1 300 euros –, 73 % des familles payaient auparavant le tarif maximum (3,22 euros le repas). Depuis l’instauration de la gratuité, les cantines de Drancy sont fréquentées par 35 % d’enfants en plus. L’initiative n’a guère fait tache d’huile en France, hormis à Saint-Michel (Charente), où la cantine est offerte à plus de 200 enfants par… des gagnants anonymes d’Euro Millions !
D comme Data
L’open data, c’est l’accès libre et gratuit, via Internet, à toutes les données publiques. Ce principe n’est acquis que depuis peu de temps en France. La révision d’une directive européenne pourrait cependant conduire à l’obligation pour les administrations de publier les données demandées par des citoyens. Tous les pays seraient alors sommés d’adopter des pratiques largement répandues dans les pays anglo-saxons.
F comme Freemium
Ce mot-valise désigne un modèle économique consistant à offrir gratuitement (free, en anglais) un bien ou un service gratuit afin d’orienter le consommateur vers une version payante plus élaborée (premium). Des exemples ? de nombreux logiciels sur Internet fonctionnent ainsi, tout comme des sites de musique en streaming, comme Deezer ou Spotify.
G comme Glanage
Faire les poubelles, c’est hype, si, si ! 38 % des Français (1) reconnaissent avoir récupéré, dans les douze derniers mois, au moins une fois des objets jetés ou déposés dans la rue. Si seulement 4 % disent s’adonner souvent à cette activité, le glanage est, selon l’Obsoco, l’Observatoire société et consommation, de moins en moins l’apanage des personnes les plus en difficulté. Héritée du Moyen Age, cette pratique – à laquelle Agnès Varda a consacré un film magnifique, Les Glaneurs et la Glaneuse – consistait à ramasser les grains laissés dans les champs après la récolte. Etendue à la récupération des fruits et légumes jetés à la fin des marchés, elle a de beaux jours devant elle. Et ce, malgré la volonté de certaines villes – Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) inflige une amende à ceux surpris le nez dans les détritus – ou de la plupart des grandes surfaces, qui préfèrent détruire les produits périmés que de les donner ou les laisser accessibles dans une poubelle.
(1) Il s’agit de la première vague d’une enquête menée auprès de 4 000 personnes sur les consommations émergentes (novembre 2012).
H comme Hima
« Espaces protégés » en arabe, l’« hima » désignait les terres réservées au bon plaisir des chefs de tribus, jusqu’à ce que le prophète Mahomet rende leur usage public et les sanctuarise. Le concept est aujourd’hui réactualisé par les écologistes du Moyen-Orient, notamment au Liban, où ont surgi les nouveaux « hima », comme mode de gestion coutumière des ressources naturelles.
L comme Logiciels libres
Quel secteur en France affiche 30 % de croissance par an, génère 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et devrait créer 10 000 emplois en trois ans ? Et tout cela en proposant un produit gratuit ? Réponse : le logiciel libre. GNU/Linux, LibreOffice.org, Mozilla Firefox sont les noms les plus connus de l’« open source ». Contrairement aux logiciels propriétaires, comme Windows de Microsoft, nul besoin de payer chaque année une licence pour les utiliser. De plus, les programmateurs peuvent en modifier les codes pour les adapter à leurs besoins. Comment alors les entreprises se rémunèrent-elles ? Grâce aux services fournis à leurs clients : développement, conseil… Depuis vingt-cinq ans, elles sont très prisées des grandes multinationales (l’Android de Google est un logiciel libre !) et des administrations, auxquelles elles font réaliser de colossales économies. Le 19 octobre dernier, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a d’ailleurs adressé une circulaire aux membres du gouvernement. Il leur recommande de privilégier, à performance et coût égaux, le logiciel libre sur le logiciel propriétaire.
M comme Musées
La Joconde ou L’ Origine du monde à l’œil, c’est possible… pour les jeunes. Le gouvernement Ayrault a maintenu la compensation de l’Etat (18 millions d’euros par an) pour l’entrée gratuite des 18-25 ans dans les musées nationaux, comme le Louvre ou Orsay, à Paris. En trois ans, cela a permis de doubler la fréquentation de ces institutions (667 000 entrées de jeunes en 2011). L’ex-Président Nicolas Sarkozy avait même envisagé la gratuité totale, à la suite d’une expérimentation couronnée de succès dans 14 établissements, qui visait à l’augmentation et à la démocratisation du public. « La gratuité est bien appropriée à la rencontre avec l’art, comme elle est appropriée à l’amour, à la contemplation des paysages », écrit Jean-Louis Sagot-Duvauroux (2). « Le ticket d’accès aux collections permanentes du Louvre coûte 11 euros. Cette dépense non négligeable rabat le visiteur vers l’esprit de consommation : il faut en avoir pour son argent. (…) Il en ressort à genoux. A Londres, au contraire, on peut entrer dans la National Gallery, qui est de libre accès, pour le seul bonheur de converser vingt minutes avec La Vierge au rocher, puis revenir le lendemain parce que les broderies d’une robe sur un portrait d’Ingres nous y appellent derechef. » De nombreuses villes, comme Paris, offrent toutefois la gratuité dans leurs propres établissements, et ces entrées représentent 42 % des visites dans les 1 200 musées français.
(2) « La gratuité : éloge de l’inestimable », Revue du MAUSS, n° 35, 2010.
O comme Obsèques
« Pour qu’on soit au moins une fois un peu égaux dans la vie, autant que ce soit devant la mort », philosophe André Aschieri. Le maire Europe Ecologie - Les Verts de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) a en effet instauré la gratuité des obsèques dans sa ville de 10 300 habitants. « En fait, c’est contre un euro symbolique, mais on ne le réclame jamais », précise-t-il ! Seule la cérémonie est offerte, le cercueil et le caveau restent à la charge des familles. « Ce n’est pas ça qui ruine notre budget, poursuit l’édile. Nous avons un corbillard, et les employés municipaux troquent leurs bleus contre un beau costume sombre. Cela permet à tous d’avoir des obsèques décentes, et les riches comme les pauvres y recourent. Les gens sont contents. » Les morts ne se sont, en tout cas, pas encore plaints.
P comme Parti pirate
Créé en 2006 par des Suédois proches de « Pirate Bay », un fameux site de téléchargement illicite de musique et de films, le Parti pirate a mûri en Allemagne, avec 30 000 adhérents et des scores flatteurs lors des élections régionales : 7 % à 9 % des voix. En France, une centaine de candidats l’ont représenté aux dernières élections législatives. Héritiers des hackers libertaires, cette formation hors norme plaide pour la légalisation du partage non commercial des produits culturels numériques et pour l’abolition progressive des brevets. Suivant le précepte de la « démocratie liquide », son programme est établi par concertation de tous ses membres via Internet. Centré sur les questions numériques, il tente désormais de s’ouvrir à tous les sujets.
U comme Université
Dans la foulée du MIT (Massachusetts Institute of Technology), à Boston, aux Etats-Unis, des centaines d’universités proposent de suivre gratuitement leurs cours sur Internet. Ceux-ci sont disponibles sur des plateformes privées – comme Itunes-U – ou publiques – comme Canal-u.tv, en France. Et elles attirent les foules : un cours à Stanford sur l’intelligence artificielle a ainsi été suivi par 160 000 internautes, et aucun des 248 étudiants ayant eu les meilleures notes n’était inscrit dans l’université californienne ! Harvard et le MIT ont même lancé leur fac gratuite en ligne – edX – qui délivre des certificats, tout comme l’« University for the people », créée en 2009 par les Nations unies.
V comme Vélo
Encore moins cher que les Vélib’ et autres systèmes financés par la pub, certaines villes prêtent gratuitement, à l’année, des vélos à leurs habitants. C’est le cas à Bordeaux (Gironde), où 4 500 biclous circulent ainsi, avec pour seule condition le dépôt d’un chèque de garantie. Et encore, celui-ci n’est pas exigé dans une expérimentation auprès de personnes en interdit bancaire ou disposant de très faibles ressources. Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) et bientôt Arcachon (Gironde) ont imité leur voisine. Ailleurs en France, ce service est proposé à Angers (Maine-et-Loire) et à Viry-Châtillon (Essonne).
W comme Wikipédia
Connaissez vous le Gouedard ? Non ? C’est normal. Ce fromage basque, mélange de gouda et de cheddar, n’existait que grâce à sa fiche Wikipédia, récemment retirée du site après plus d’un an en ligne. Ce « raté » illustre l’un des reproches faits à l’encyclopédie collaborative : celui de la vérification des infos. Il est vrai que sur 1,3 million d’articles écrits et relus par des passionnés, il peut traîner quelques coquilles. Mais son exhaustivité et sa réactualisation incessante en font un formidable outil. Elle a même mis tous ses concurrents papier à la préretraite, si bien que Julien Lepers n’offre plus d’encyclopédies Larousse !
Z comme Zones de gratuité
Plaisir d’offrir, joie de recevoir : c’est Noël dans ces zones qui se multiplient partout en France (voir le portail des espaces de gratuité Nonmarchand.org) et pas seulement à la ZAD, la « Zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), où s’échangent surtout des mandales. Dans ces espaces temporaires ou permanents – Le Magasin pour rien, à Mulhouse (Haut-Rhin), la Gratiferia de Puivert (Aude), la Recyclerie du golfe, à Vannes (Morbihan) – chacun est invité à déposer les objets dont il n’a plus utilité : bouquins, vêtements, casseroles, sextoys… Ou à récupérer ce qu’il souhaite. —
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