L’Insee a rendu un rapport sur les niveaux de vie en 2009. Et tiré une conclusion alarmante. La crise a creusé encore les finances des 10% les plus modestes, baissant leur niveau de vie de 1,1%. Elle a du même coup renvoyé derrière le seuil de pauvreté 8,2 millions de personnes soit 0,5% de plus qu’en 2008. Pendant ce temps, le niveau de vie des plus riches s’est légèrement accru (de 0,7%). Mais pourquoi les plus pauvres trinquent-ils ? Explications d’Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Terra eco : Pourquoi les pauvres sont-ils plus touchés par la crise ?
Eric Heyer : Selon l’Insee, la pauvreté a augmenté notamment parce que le chômage a fortement progressé. Or, celui-ci a touché principalement les secteurs d’activité des quatre déciles les plus modestes. Et lorsque le chômage touche ces déciles-là, les indemnités versées sont faibles. Elles ne permettent pas de maintenir les personnes au dessus du seuil de pauvreté (fixé à 60% du revenu médian soit 954 euros mensuels en 2009, ndlr). La crise a par exemple particulièrement touché l’industrie et le bâtiment. Dans ces secteurs, la productivité est faible et les salaires sont indexés sur cette productivité. Résultat : les gens ont basculé dans la pauvreté quand ils ont perdu leur emploi. Inversement, les hauts revenus ont non seulement eu une probabilité plus faible d’être touchés par le chômage et s’ils l’ont été, les indemnités versées ont été plus conséquentes.Mais n’oublions pas que le rapport de l’Insee porte sur les chiffres de 2009. La situation sera peut-être différente pour 2011. Car on observe aujourd’hui une explosion du chômage de longue durée. Des chiffres publiés (par le ministère du travail, ndlr) la semaine dernière montraient, sur une année, une augmentation de 27,7% des personnes au chômage depuis plus de 2 ans. Or, les indemnisations versées ne dépassent jamais plus de 24 mois. Ces chômeurs-là vont commencer à tomber dans les minima sociaux. Qu’ils soient riches ou non, ce sera la même chose. L’impact de la crise sur les différentes classes sera peut-être ainsi mieux réparti. Mais on ne verra cette réalité que dans deux ans, quand les chiffres sur 2011 seront publiés.
Le gouvernement a mis en place des amortisseurs au moment de la crise : crédit d’impôt pour les plus faibles revenus, prime de « solidarité active », prime de rentrée scolaire... N’ont-ils pas suffi ?
Certes, il y a eu des mesures ponctuelles qui ont fait partie du plan de relance. Elles ont permis de limiter la hausse de la pauvreté mais de façon insuffisante. Pour l’Insee, elles ont simplement permis de diminuer le taux de pauvreté de 0,2 point en 2009. Et surtout depuis, elles ont disparu. Pour 2011 tout va aller en sens inverse. Les personnes au chômage de longue durée commencent à perdre leurs indemnités et le plan de relance s’est transformé en plan d’austérité. On peut dès lors craindre une explosion de la pauvreté et ce, même sans explosion du chômage. C’est pour cela qu’il ne faudra pas se contenter d’une stabilisation du chômage. La stabilisation n’a d’intérêt que s’il y a une rotation des chômeurs et que tout le monde peut bénéficier des allocations chômage.Que faut-il faire alors pour enrayer la pauvreté ?
Il faut augmenter les minima sociaux. On peut le faire de façon pérenne ou sous la forme d’une prime. Dans ce dernier cas, on augmenterait les minima en période de crise et on les stabiliserait en période de reprise. C’est une solution pour ceux - notamment parmi les proches du gouvernement – qui pensent qu’augmenter les minima sociaux de façon pérenne a des inconvénients. Que ça n’incite pas au retour à l’emploi. Ou que cette augmentation risque de peser lourd sur les caisses de l’État. Le principe de la prime lève toutes les critiques.Et l’augmentation des minima sociaux permettrait aussi de ne pas tomber dans une croissance molle. On sait aujourd’hui que la propension marginale à consommer (la part du revenu d’un ménage consacrée à la consommation, ndlr) est plus forte quand on a peu d’argent que quand on en a beaucoup. Si on donne 100 euros à une personne qui touche un revenu modeste, elle va consommer 99 euros. L’effet sur la relance est donc élevé. En revanche, si on donne 100 euros à des personnes situées dans les hauts déciles, elles vont consommer 65 euros et épargner 35 euros. Alors si on estime que la croissance est fragile et qu’on n’est pas sorti de la crise, il faut aider l’activité et augmenter les minima sociaux.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions