Trublion de l’Europe, la Pologne ? Le 22 juin, elle refusait de revoir à la hausse les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), actuellement de 15% d’ici à 2020 pour Varsovie et de 20% pour l’UE. Pas question donc de suivre les nouvelles ambitions de la Commission européenne, de 25% de réduction d’ici à 2020, 40% d’ici à 2030 et 80% d’ici à 2050, objectifs qui permettraient de limiter le réchauffement climatique à 2° C. Résultat : les négociations climatiques sont gelées. C’est fâcheux puisque la Pologne, en plus de prendre la présidence de l’UE ce 1er juillet, représentera l’Union lors du Sommet sur le climat organisé en fin d’année à Durban (Afrique du Sud). « C’est traditionnel, la Pologne se place une fois encore en tête de file des pays sceptiques de l’écologie européenne, » lance Damien Demailly, assistant parlementaire de Yannick Jadot (Europe Ecologie - Les Verts).
Côté polonais, il faut dire que cette subite hausse des ambitions environnementales a un peu agacé : « Je ne comprends pas de quoi on s’étonne, explique Barbara Nieciak, première conseillère à l’ambassade de Pologne à Paris. En 2008, on a dit oui aux objectifs de 20%. Ce n’est pas pour changer d’avis dans la précipitation. L’année dernière, la Commission européenne elle-même disait que les conditions n’étaient pas réunies pour revoir ces objectifs à la hausse… » « Cette décision a choqué les Polonais, renchérit Hania Gouttière, présidente de la Chambre de commerce et d’industrie polonaise en France. On n’attend même pas de connaître son impact sur les économies des Etats membres ! »
Justement, c’est bien cet impact économique, jugé négatif, qui inquiète la Pologne. L’argument varsovien : réduire les émissions de GES, c’est augmenter les coûts de l’énergie, et donc risquer de desserrer le tissu industriel européen. Au loin partiront les « Michelin ou Lafarge » qui officient (encore) en Pologne… Michèle Rivasi, elle, n’y croit pas : « Le problème est ailleurs, les délocalisations sont plutôt dues au coût de la main d’œuvre. En France, notre énergie est – artificiellement – moins chère avec le nucléaire, or ça n’a jamais empêché les délocalisations ! »
Le boulet énergétique
Mais il y a une autre raison à la réticence polonaise vis-à-vis des nouvelles ambitions européennes. En Pologne, pas loin de 50% des émissions de GES proviennent du secteur énergétique, explique Barbara Nieciak.
- Pas étonnant, quand on sait que la production électrique repose pour plus de 90% sur le charbon. « On ne peut pas abandonner ce secteur clé de l’économie polonaise comme ça », lâche Hania Gouttière. Faute de l’abandonner, Varsovie s’efforce donc, dans un premier temps, de le rendre « propre ». « Dès 2015, on met en place une technologie CCS (captage et stockage du carbone) dans notre plus grande centrale électrique », assure Barbara Nieciak, qui dit vouloir montrer l’exemple dans un monde où « cette énergie fossile continue à couvrir un quart des besoins en énergie primaire. » Tout transfert de technologie et aide financière de l’Europe sont donc vivement attendus dans ce secteur...
- Pour diversifier un peu ses sources énergétiques, la Pologne se lance dans le nucléaire. Avec l’aide de la France, ses deux premières centrales devraient voir le jour d’ici à 2025. Objectif : couvrir 15% de la production énergétique d’ici à 2030. Michèle Rivasi reste perplexe : « La France a fait pression sur la Pologne pour développer le nucléaire. Je ne comprends pas : il n’ont pas de centrale, pas de savoir-faire, pas d’autorité de sécurité indépendante, il va leur falloir surmonter les problèmes de l’approvisionnement en uranium, et des déchets… » Mais qu’importe, Varsovie y va d’un pas déterminé, Fukushima ou pas. Et l’opinion publique ? « Après Tchernobyl, on a dû arrêter le programme nucléaire. Mais aujourd’hui, on n’entend pas de contestation… Les autorités locales se battent même pour avoir une centrale dans leur région ! », s’enthousiasme Barbara Nieciak.
- Autre alternative au charbon : les énergies renouvelables. Elles atteignent 7% aujourd’hui de la production énergétique, le gouvernement polonais prévoit de les passer à 20% d’ici à 2030. Le biogaz et l’éolien arrivent en tête, devant l’hydraulique et le solaire.
- Enfin, dernière belle alternative au charbon : le gaz de schiste. Michèle Rivasi, qui vient juste de se rendre en Pologne avec José Bové et d’autres eurodéputés pour y évoquer ce sujet, a constaté l’enthousiasme qui auréole ces projets d’exploration - 14 zones de fouilles au total selon Hania Gouttière. Un joli potentiel de 5 300 milliards de m3 de gaz sommeillerait dans les sous-sols polonais, selon l’eurodéputée. Le gaz de schiste n’aidera pas la Pologne à réduire ses émissions – ce gaz étant, souligne M. Rivasi, « aussi émetteur de GES que le charbon selon des études américaines ». Mais là n’est pas la question. L’objectif est ici de répondre à une des préoccupations majeures de la Pologne, grande consommatrice de gaz : assurer son indépendance énergétique par rapport à son voisin russe. Ce dernier, début 2009, avait fermé son robinet à destination des pays européens, après un énième litige avec l’Ukraine.
Une présidence pour l’indépendance énergétique
Les Polonais n’ont pas oublié cet épisode de crise. L’une des priorités affichées de la présidence : mieux armer l’Europe face au marché extérieur d’énergie. « L’union est essentiellement importatrice d’énergie. La Pologne voudrait que les Etats membres se coordonnent mieux dans les négociations sur le prix et l’approvisionnement, pour obtenir un rapport de force plus favorable par rapport aux fournisseurs, » explique Hania Gouttière. Par contre, pour tout ce qui est énergie renouvelable, repassez : « On ne proposera rien de plus, prévient la diplomate. L’heure est aujourd’hui à l’application des objectifs signés. »
Ainsi, l’environnement ne sera pas vraiment à l’ordre du jour. « Les Polonais voient les objectifs écologiques comme une contrainte qui les pénalise, au lieu d’une opportunité pour innover, conclut Michèle Rivasi. Ils veulent une présidence qui stimule le développement de leur propre pays, pour briller par rapport aux autres pays de l’Est… » De retour de son voyage, la députée a gardé une vive impression d’un système très hiérarchisé, où la parole n’est pas libérée : « Là-bas, aucun député ne posait de question ! »
Des différences de cultures et de rythme entre les Etats membres à prendre en considération dans les ambitions européennes. Reste à savoir si cette présidence polonaise sera, pour l’écologie de l’UE, « six mois pour rien, ou l’occasion de mettre la pression pour responsabiliser les pays à la traîne », s’interroge Damien Demailly. En attendant la présidence du Danemark qui, en 2012, pourrait bien remettre ces propositions sur le tapis.
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