Je ne travaille pas ! Ne vous y trompez pas, ce n’est pas là un choix de vie mais bel et bien la résultante circonstancielle d’événements dont l’accumulation tendrait à exacerber un tantinet la réelle dramaturgie des faits ! En clair, j’suis au CHÔMAGE ! En CDI (Chômage à durée interminable) qui plus est, car cela fait déjà quelques temps que je ne perçois plus d’allocations... de paye donc ! Pour tout vous dire, je ne sais plus à quel Saint me vouer. On m’a dit récemment d’essayer Saint-Joseph, que cela m’aiderait sûrement. Tu parles ! Après trois bouteilles d’affilée (fort bonnes d’ailleurs), aucun résultat si ce n’est une bonne crise de foi.
Tout commence en 2008. L’entreprise qui m’emploie « restructure ». Elle souhaite donc se séparer, sans licencier, d’un pourcentage non négligeable de sa masse salariale, devenue trop importante aux yeux des actionnaires. On me propose un petit bas de laine si j’accepte de prendre la porte et mes petites affaires sous le bras. Je fais donc mes adieux solennels, me lève et pars sans me retourner (la Marseillaise en moins !). Nous décidons alors avec mon épouse – qui était au chômage depuis deux ans après s’être fait licencier elle aussi – de mettre à profit ce petit pécule pour ouvrir un commerce. L’aventure tourne court. Je m’oriente alors vers un certain « Paul Emploi », censé faciliter ma réintroduction dans ce milieu hostile et fragile qu’est le marché du travail. Je m’inscris par téléphone et puis... rien ! Rien pendant deux ans ! Quand je dis rien, je ne sous-entends pas que l’aide apportée n’a pas été fructueuse, je veux simplement dire que je n’ai eu aucun contact durant cette période ! Oh, j’entends déjà certains penser tout haut ce que d’autres disent tout bas : « Et il a pas bougé ses fesses pendant tout c’temps ? Encore un Jean Foutre, un profiteur, un assisté... » N’en jetez plus ! Je n’ai ni l’envie ni la force de me justifier, je l’ai déjà suffisamment fait... je me suis vite lassé d’être confronté à une société qui se complaît à être juge et bourreau à la fois.
Au début de l’année 2011, j’accède à la très haute fonction de « chômeur longue durée ». Par le plus grand des hasards, Monsieur Nicolas S. décide à cette période de faire baisser les chiffres du chômage, qui sont de plus en plus hauts, pour mécaniquement faire remonter sa cote, qui est de plus en plus basse. Ainsi, tous les patients présentant les mêmes symptômes que moi doivent être reçus chez Paul Emploi pour un traitement d’urgence. Je reçois un petit courrier dans ma boîte aux lettres (ils avaient donc bien mon adresse !) m’invitant à telle date à venir rencontrer une certaine Madame X, « conseillère attitrée » de son état, afin de dresser un bilan de ma situation !?
Le jour J, je suis rasé de près, ai mis mon beau costume et mes souliers vernis, et emmène avec moi une pleine sacoche de documents divers et variés justifiant de ma recherche active et dynamique d’emploi. J’arrive un peu (beaucoup) en avance. L’attente dans ce grand hall d’accueil me paraît interminable. Je ne me sens pas à l’aise au milieu de cette foule bigarrée. Je remarque que beaucoup de personnes font la queue à une borne téléphonique, laissant vides les trois autres. Je comprends vite que c’est la seule qui fonctionne. Non loin de moi, une voie au ton méprisant attire mon attention. C’est la responsable de l’accueil qui réprimande comme il se doit une femme – ne comprenant visiblement pas bien le français – qui a le culot de venir lui demander des explications sur un courrier qu’on lui a adressé et dont elle ne saisit pas le sens. Tous ces gens ont l’air égaré, errant tels des zombies. Qu’est-ce que je fais là ? C’est mon tour. J’entre, fébrile, dans un petit bureau. Je salue poliment et m’assois. Soudain, mon interlocutrice me pose une question à laquelle je ne m’attendais pas et qui me laisse pantois : « Comment se fait-il que l’on ne se soit pas rencontré plus tôt ? », me demande-t-elle.
Ça, c’était une sacrée bonne question. J’avance plusieurs hypothèses que je souhaiterais soumettre dès à présent à la communauté scientifique. La première : durant cette période, Paul Emploi était fermé pour la rénovation des tableaux d’affichage. La seconde : faute d’effectifs à l’échelon national, mon antenne locale a été choisie pour recevoir, un par un, tous les inscrits de métropole et des DOM-TOM (traitement par ordre alphabétique ; mon nom de famille commence par un V ; cqfd !). La troisième : cette gentille dame a posé d’un seul coup RTT, congés payés, congé maternité, congé sabbatique et congé perdu son dossier. La quatrième : le réchauffement des eaux de l’Atlantique a désorienté un couple de manchots empereur qui a remonté la Loire depuis son estuaire sur environ 700 km. Ils se sont ensuite faufilés à travers le réseau d’égouts de la ville jusqu’aux toilettes de Paul Emploi, dont ils sont sortis pour élire domicile sous le bureau de ma conseillère qui, sous la pression des associations écologistes, a été contrainte d’abandonner son poste – mais c’est peu probable car je n’en ai pas entendu parler au 13H de Pernaut !
L’entretien, somme toute assez rapide (comme si d’autres attendaient derrière... j’vous jure !), pourrait se résumer ainsi : « Vous venez de quelle branche ? », me demande-t-elle. « De celle qui a poussé plus vite que sa croissance ne le permettait », lui dis-je. « Ah, je vois ! », me répond-t-elle ennuyée. « Le problème, c’est que cette branche était morte et qu’on a été contraint de la couper ! », continue-t-elle. « Ah... Et je peux peut-être essayer une autre branche ? », lui fais-je. « Vous voyez ces gens assis par terre », me rétorque-t-elle, « ils sont tombés de la branche que l’on a coupé, et ils attendent tous de pouvoir aller vers une autre. Le problème c’est que toutes sont déjà complètes. Le pire, c’est que la plupart de ces autres branches sont déjà bien pourries et qu’il faudra, tôt ou tard, qu’on se résolve à les couper à leur tour. Résultat, cela fera beaucoup de monde assis par terre à lever les yeux au ciel ! »
« C’est embêtant », dis-je désabusé. « Mais là, ce sont bien des places libres que je vois sur ces branches... » « Ah mais non », me coupe-t-elle, « il vous faudrait une formation spécifique pour accéder à l’une d’elles. Le problème c’est que, soit on a fait pousser ces branches un peu trop vite et qu’elles sont devenues très instables, soit elles ont poussé un peu trop haut et sont devenues inaccessibles... et je ne vous parle même pas de celles dont on n’a pas contrôlé la croissance, qui ont poussé n’importe comment et desquelles vous risquez, à coup sûr, de vous cassez la figure... Oubliez ! » Après avoir convenu qu’aucune solution ne s’offrait à moi, Madame X. me propose un suivi personnalisé bimensuel.
« Ah bon, vous faites ça, chez Paul Emploi ? », lui fais-je étonné. « Non, pas chez nous ! », me répond-elle avec un grand sourire, « nous avons des sous-traitants pour ça ». Je lui fais remarquer que les 90 km aller-retour qui nous séparent représentent un coût de transport non négligeable, et que je préférerais un peu plus de proximité géographique. Pas possible. On oublie ! L’entrevue se termine et je sors des lieux un nouveau rendez-vous en poche avec Madame X. pour le mois suivant. Je rentre chez moi dubitatif et songeur et me dit sur le coup que je me suis complètement planté dans mon orientation scolaire et professionnelle... J’aurai dû faire élagueur ou même bûcheron !
Nous sommes début 2012. Ma situation n’a pas changé. Je n’ai jamais revu Madame X., ni aucune autre personne de Paul Emploi d’ailleurs. Monsieur Nicolas S. vient de s’apercevoir que les patients n’étaient toujours pas guéris, qu’il y en avait de plus en plus et qu’apparemment, cela n’allait pas s’arranger ! Un traitement d’urgence global devrait être administré dans les prochains jours. Ça me rappelle des souvenirs. Il paraît que sa foutue côte est toujours aussi capricieuse et qu’un évènement politique important se prépare...
Je ne sais pas encore si je recevrai une convocation. Peut-être aurai-je trouver du travail d’ici-là – l’espoir fait vivre à ce qu’on m’a dit ? Peut-être que ce couple de manchots empereur sera revenu nicher au même endroit ? En tous cas, si l’on me fait parvenir la fameuse missive, je pense que je ne m’encombrerai pas de paperasse inutile... je m’y rendrai simplement avec ma hache !
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