« On agira plus vite avec un prix du carbone plus élevé. » Non, ce n’est pas Greenpeace ou Les Amis de la Terre qui s’expriment ainsi. Mais six géants du pétrole. Le courrier, adressé le 29 mai à Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC (Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) était signé des plumes de BP, BG Group, Eni, Shell, Statoil et Total. Ils y précisaient : « Pour agir davantage, nous avons besoin que les gouvernements nous fournissent un cadre politique clair, stable, à long terme et ambitieux. Nous pensons que fixer un prix carbone devrait être un élément clé de leur politique. »
Le monde aurait presque applaudi si Christiana Figueres ne s’était pas empressée en retour d’afficher ses exigences. Dans une missive en date du 25 juin, elle précise que si elle est, elle, convaincue de leur sincérité, ce n’est pas forcément le cas des Etats et de la société civile. Aussi, explique-t-elle : « Je vous demanderai de vous assurer qu’à partir de maintenant votre engagement auprès de vos gouvernements respectifs ait clairement pour objectif d’atteindre le résultat que vous avez exposé dans votre courrier ». En clair, rien ne sert de parler, si vous n’agissez guère.
Shell, n°1 de l’hypocrisie
Or, c’est ce fossé entre intentions louables et lobbying plus condamnable qu’Influence Map – une petite ONG britannique qui s’attache à analyser l’influence des compagnies sur les politiques liées au changement climatique – s’est efforcé de montrer du doigt. Dans un rapport rendu public ce vendredi, elle renvoie dos à dos les belles déclarations des sociétés affichées sur leur site Internet, dans la presse ou lors de consultations publiques et les positions tenues par les groupes professionnels auxquels elles appartiennent. Pour ce faire, elle a analysé plus de 10 000 déclarations touchant à trois réformes politiques souvent amèrement débattues – la taxe carbone, le marché carbone et la régulation des émissions de gaz à effet de serre.Et à ce petit jeu, c’est Shell qui remporte la palme du plus bel hypocrite, aux yeux d’Influence Map. Si sur son site Internet, le géant britannico-néerlandais assure que « les émissions de CO2 doivent être réduites si l’on veut éviter un changement climatique d’envergure. Pour cela, les gouvernements et l’industrie doivent travailler ensemble. » Etrange alors, au vu de cette déclaration, de découvrir qu’An Theeuwes, en charge des questions fiscales pour Shell International, siège au sein du Comité économique de Business Europe. Business Europe ? Une association patronale européenne dont le directeur général déclarait en octobre 2014 dans un communiqué de presse repris par Euractiv : « L’objectif [européen] de réduction des émissions de 40% est très ambitieux, il vise un effort sur 10 ans similaire à ce que nous nous faisons sur 30 ans. Cet objectif doit être revu à la lumière des prochaines négociations climatiques à Paris. »
Quelles responsabilités ?
Pas mieux pour Total. Le géant pétrolier français est d’ailleurs classé deuxième par InfluenceMap. C’est une déclaration de Jack Gerard, président de l’Institut américain du pétrole (API) et publiée sur le site de son institution, qui a retenu l’attention de l’ONG. Selon lui, l’administration américaine est coupable d’« idéologie politique étriquée motivée par le sommet climatique prochain à Paris ». Problème, Total E&P (Exploration et production) aux Etats-Unis est membre de l’API (voir ici). Or, la compagnie française ne partage officiellement pas cette position. Dans un document officiel, elle écrit : « Total préconise l’émergence d’un accord international équilibré et progressiste qui préviendra une distorsion de concurrence entre les industries et les régions du monde. » Pas de lanterne rouge allumée en revanche – ou si peu – pour BP, Chevron ou Exxon, aussi « obstructifs » sur les questions de législation climatique dans leurs déclarations propres que dans celles des lobbys auxquels ils appartiennent.Mais après tout, peut-on vraiment reprocher à une société les positions des organisations dont elle est membre ? « On parle de sociétés parmi les plus grosses du monde. Et elles n’ont pas un rôle mineur, elles siègent au comité central ou ont un rôle d’encadrement dans ces associations. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’elles ne sont pas responsables des actions menées. Si elles ne le sont, alors qui l’est ? », s’interroge rhétoriquement Thomas O’Neill, directeur de recherche chez InfluenceMap. Or, poursuit-il, ces lobbys ont prouvé leur efficacité : « On sait que le Business Council of Australia (BCA) a joué un rôle clé dans l’abandon de la taxe carbone en Australie. On sait aussi que Business Europe ou le CEFIC (Conseil européen de l’industrie chimique, ndlr) ont été des opposants clés au gel d’une portion de quotas de CO2 (1). Et le débat a montré à quel point ils étaient puissants. »
(1) Le « backloading » ou gel des quotas est une initiative de la Commission européenne menée depuis 2014 pour tenter de remettre à flot le marché d’échange de quotas européen vidé de sens par un prix du CO2 trop bas.
Ce vendredi, l’Oil and Gas Climate Initiative – une coalition de 10 énergéticiens majoritairement pétroliers (BG Group, BP, ENI, Pemex, Reliance, Repsol, Shell, Saudi Aramco, Statoil et Total) fondée en septembre 2014 – s’est fendu d’une déclaration commune. A l’approche de la COP21, les dix mastodontes ont assuré souhaiter « promouvoir l’obtention d’un accord efficace pour lutter contre le changement climatique ». Vantant les efforts réalisés depuis dix ans recensés dans un rapport commun (PDF, ces compagnies ont promis de poursuivre leurs « efforts afin d’aider à infléchir la courbe actuelle des émissions mondiales ». Un engagement assorti malgré tout d’une nuance : « Ni nos actions ni celles de tout autre secteur industriel agissant seul ne peuvent suffire à répondre aux enjeux du changement climatique : cela ne peut être atteint que si chaque composante de la société contribue à son niveau », ont-elles écrit. |
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