Depuis la nuit des temps (scientifiques), c’est toujours la même question : jusqu’où peut-on jouer aux apprentis-sorciers pour améliorer le sort de l’Humanité ?
La semaine dernière, les résultats des travaux controversés du virologue néerlandais Ron Fouchier ont finalement été publiés dans la revue Science, après de nombreux rebondissements. Avec son équipe du Centre médical Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas, il avait mis au point en 2011 un virus mutant de la grippe aviaire, transmissible de mammifère à mammifère et potentiellement mortel. Très virulent chez les oiseaux, le virus H5N1, qui n’est pour l’instant pas transmissible d’homme à homme, a contaminé (seulement) 600 personnes dans le monde depuis 2003. Mais il s’est avéré mortel dans 60% des cas. L’équipe de Ron Fouchier essayait donc d’identifier, d’isoler et de séquencer les mutations qui permettraient au virus de devenir transmissible. Résultat : elle a réussi à créer un super-virus extrêmement dangereux.
Fantasmes et moratoire
La polémique a enflé cet hiver, quand Ron Fouchier a annoncé vouloir publier ses résultats. « Un véritable petit guide pour les bioterrosristes ! », se sont alors insurgés de nombreux opposants. Paul Keim, le président de l’Agence américaine de biosécurité (NSABB), avait même déclaré qu’il ne connaissait « aucun organisme qui fasse aussi peur que celui-là ». A tel point que l’agence américaine a recommandé de bloquer la publication des détails de l’étude. Et les experts scientifiques ont eux-mêmes décidé d’un moratoire sur ce type de recherches.Car ces travaux ne sont pas isolés. Tour d’horizon de ces virus artificiels.
Polio
En 1981, deux scientifiques américains, les docteurs Racaniello et Baltimore, synthétisent l’ADN de la poliomyélite - dont la biologie est très simple - à partir de matériau artificiel et l’injectent dans des cellules humaines. C’est le premier virus recréé en laboratoire. Vingt ans plus tard, en 2002, un virus artificiel de la polio qui paralyse et tue les souris est à nouveau fabriqué à Stony Brook, une université américaine près de New York. Le virus s’est finalement révélé trop faible pour se reproduire dans les cellules infectées.
Variole
En octobre 2003, des chercheurs modifient génétiquement un virus de souris (mousepox), apparenté à celui de la variole, afin de le rendre mortel en lui insérant un gène codant pour une protéine immunosuppressive. Ce nouveau virus a été capable de tuer 100% des souris immunisées. La même équipe a aussi modifié le cowpox, un autre virus de la même famille. Contrairement au mousepox, le cowpox serait capable d’infecter les hommes - une « saloperie », selon Bruno Lina. Rappelons que l’Organisation mondiale de la santé a constaté l’éradication de la variole en 1980.
Phi-X174
En novembre 2003, l’équipe de Craig Venter, l’un des premiers à avoir séquencé le génome humain, créé le génome artificiel du virus Phi-X174 à l’Institut des alternatives énergétiques biologique du Maryland. Il s’agit d’un virus bactériophage (infectant uniquement les bactéries), sans danger pour la santé humaine. Mais la surprise vient du fait qu’il a fallu seulement deux semaines pour obtenir ce résultat.
A quoi bon recréer des virus ?
Aujourd’hui, la polio est en voie d’éradication. Alors pourquoi reconstituer le virus en laboratoire ? En fait, il faut qu’il y ait toujours un ou deux labos qui détiennent ces virus dans l’éventualité d’un retour de pandémie », explique Bruno Lina, directeur de l’unité de recherche Virologie et pathologies humaines (Virpath) à l’université de Lyon. Pour le chercheur, les travaux de Ron Fouchier sont donc légitimes, puisqu’ils apportent des connaissances sur les risques pandémiques et les mutations virales.Le professeur au CHU de Lyon veut d’ailleurs tordre le cou aux fantasmes collectifs : « Il n’existe pas de virus créés par l’Homme stricto sensu. On devrait plutôt parler de virus “ transformés ”, ou “ reconstruits ”. » Dans son laboratoire de virologie, conçu pour accueillir les virus les plus dangereux au monde, il a lui-même manipulé les souches H5N1 et H1N1 (la grippe porcine). « De toute façon, poursuit-il, tous les laboratoires qui contiennent le terme de " pathogénèse virale " dans leur titre travaillent sur des virus modifiés. ». Il y aurait environ 30 ou 40 laboratoires dans le monde capables de reproduire ce virus. Mais d’après le virologue, ces recherches, publiées en l’état, ne seraient pas exploitables par les bioterroristes en herbe.
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