« Près de la moitié des réacteurs nucléaires sont menacés par un phénomène d’usure des gaines de combustibles », révélait ce vendredi Mediapart, document interne d’EDF à l’appui. Tant que l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) envisagerait une restriction d’exploitation pour prévenir tout accident, souligne encore le site d’information. Si l’électricien a confirmé à l’AFP que certaines gaines de combustibles de réacteurs étaient bel et bien corrodées, il a assuré que cela ne posait pas « de problèmes de sûreté ». Mais que sont ces gaines de combustibles et à quoi servent-elles ? Explications avec Bertrand Barré, ancien conseiller scientifique d’Areva et professeur émérite à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN).
Terra eco : Que sont ces gaines de combustibles aujourd’hui mises en cause ?
Bertrand Barré : Dans un réacteur nucléaire, notamment dans un réacteur à eau pressurisée comme ceux opérés par EDF, on trouve des assemblages. En clair, des fagots formés de 250 tuyaux appelés crayons de combustibles. Ces crayons sont formés d’une gaine métallique et étanche dans lesquels sont empilées des pastilles (d’oxyde d’uranium ou d’oxyde mixte d’uranium et de plutonium, ndlr) comme on empilait autrefois des comprimés dans un tube d’aspirine. Ces 200 assemblages d’environ 4 mètres de haut sont chargés dans la cuve et forment le cœur du réacteur. Ils sont refroidis par de l’eau sous pression. Chaque assemblage reste dans la cuve en moyenne quatre ans. Mais tous les ans, un quart des assemblages sont retirés pour être remplacés par des neufs.Quel est le rôle de ces gaines ?
Elles servent à contenir le combustible, en clair à garantir que les produits radioactifs restent à l’intérieur. Elles doivent donc être étanches. C’est la première barrière de protection d’un réacteur. Mais ce n’est pas la seule. Les protections s’organisent comme des poupées russes. Si la gaine fuit, l’eau devient radioactive mais reste à l’intérieur du circuit primaire. Enfin, s’il y a une fuite dans le circuit primaire, il reste la protection de l’enceinte de confinement. Il faut que les trois éléments fuient pour que de la radioactivité s’échappe d’une centrale.Comment ces gaines ont-elles pu être victimes d’un phénomène de corrosion comme le dénonce le document interne d’EDF révélé par Mediapart ?
Pendant quatre ans, ces gaines restent plongées dans de l’eau à plus de 300°C. Elles sont aussi bombardées par des neutrons et des produits de fission. Or, ces gaines sont faites pour la plupart de zirconium qui a deux qualités importantes. C’est un métal qui n’absorbe pas les neutrons – ce qui veut dire qu’il n’y a pas de perte, tous les neutrons peuvent servir à la fission – et qui résiste très bien à la corrosion dans l’eau chaude. Mais le zirconium a un défaut : lorsqu’il est irradié, il se déforme et se fragilise. Et, même s’il résiste bien, à force de rester dans l’eau chaude, il s’oxyde et « s’hydrure » (une fragilisation au contact de l’hydrogène, ndlr) ce qui amincit un peu la gaine. Cette corrosion est limitée dans le temps parce que le combustible est changé tous les quatre ans. Malgré tout, il faut que les gaines soient assez solides pour être manipulées et permettre de sortir le combustible pour l’envoyer vers l’usine de retraitement. Le souci, c’est qu’avec l’allongement de la durée de vie des centrales, on a tendance à laisser les combustibles dans le cœur plus longtemps – il y a dix ans, c’était plutôt trois ans, aujourd’hui plutôt quatre – et donc les gaines subissent davantage toutes ces tortures.Il faudrait donc remplacer les gaines par de plus résistantes ?
Les fabricants de combustibles sont amenés à fabriquer des gaines plus sophistiquées et qui résistent mieux à la corrosion. Dans les vieilles gaines, on a surtout du zircaloy, un alliage à base de zirconium. Aujourd’hui, les nouveaux alliages sont toujours à base de zirconium mais résistent mieux dans l’eau, c’est le cas du M5 d’Areva par exemple. Mais avant de changer ses gaines, EDF peut d’ores et déjà agir en remplaçant la disposition des éléments : si une gaine est plus fragile, elle peut être mise à la périphérie de l’assemblage, là où le bombardement neutronique est plus faible. En tout cas, si ce phénomène de corrosion des gaines n’est pas à négliger, il n’est pas un problème dans la durée. Ce n’est pas la même chose pour la cuve ou l’enceinte qui engagent la vie de la centrale. C’est autour de ces éléments-là que se pose la question du vieillissement et de la durée de vie des centrales.
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