Sauver le climat en s’offrant « la plus grosse conférence internationale qui ait jamais eu lieu » sur le sol français n’a pas de prix. Mais accueillir 40 000 personnes et 196 délégations officielles pendant quinze jours a un coût. La facture de la COP 21, ce sommet onusien qui se tiendra au Bourget en décembre prochain, avoisinera 170 millions d’euros. Or, « comme tous les pays, la France a un budget contraint », a rappelé Laurent Fabius mercredi 27 mai, lors de l’annonce à la presse des premiers sponsors de l’événement. En affichant sa détermination à « réduire le plus possible le coût pour le contribuable », le ministre des Affaires étrangères tentait de justifier son recours aux deniers du secteur privé. « L’objectif (de participation des entreprises, ndlr) est ambitieux : il a été fixé à 20% du budget. Nous sommes à la moitié. » Ces largesses, dont les montants individuels n’ont pas été dévoilés, ne seront pas exclusivement financières.
A l’entrée du ministère, une Zoé Renault et une Nissan, toutes deux 100% électriques, montrent le chemin aux journalistes. Elle sont les ambassadrices des 200 véhicules électriques que Renault-Nissan met à disposition pour l’évènement. EDF leur fournira, comme à l’ensemble du site, « une électricité décarbonée » – ce qui n’exclut pas le nucléaire. Sur place, l’entreprise Derichemont triera les déchets à la source, puis Suez environnement les valorisera. L’agence Publicis, dont la participation n’est pas encore officielle, promet pour sa part « une superbe campagne de communication ». Google devrait lui emboîter le pas. En contrepartie, ces entreprises, dont un tiers est membres du CAC 40, seront partenaires officiels de la COP21. « L’utilisation du label est valable pour un an », explique Pierre-HenrI Guignard, secrétaire général chargé de la préparation et de l’organisation de l’événement. Le tampon n’est pas anodin. A ses yeux, « la participation à la COP21 constitue un gage d’être une entreprise exemplaire ». Laurent Fabius confirme : « Les partenaires sont là parce que leur activité est compatible avec un haut niveau d’exigence environnementale. » Pour le ministre, « toutes ces entreprises sont les amies du climat ».
Air France, Axa, BNP Paribas… Dans l’ordre alphabétique, la lecture des premiers noms fait s’étrangler les représentants d’ONG. « Ils n’auraient pas pu faire pire » estime Yann Louvel, qui, au sein de l’ONG BankTrack, scrute les placements des établissements bancaires. « Ce qui est frappant, c’est que le gouvernement n’a pas du tout choisi les acteurs de la transition », renchérit Célia Gautier, du Réseau action climat (RAC). Et pour cause, il n’a tout simplement pas fait de choix. « Il n’y a pas a priori d’exclusion. Les portes ne sont pas fermées », reconnaît Pierre-Henri Guignard. Tout juste évoque-t-il « une analyse de leur rapport RSE et leur réputation en matière de développement durable », un « dialogue privilégié avec les entreprises qui adhèrent au “global compact”. Conséquence de cette non-sélection, « la COP21 sera financé par des champions de la pollution », estime Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam. Et ces champions sont…
Les extracteurs de charbon…
Le 19 mai dernier, les entreprises EDF et Engie (ex-GDF Suez) étaient épinglées par un rapport des Amis de la Terre et d’Oxfam pour leur soutien a la plus émettrice des énergies. « EDF détient pas moins de 16 centrales à charbon en France et en Chine ; Engie en possède 30, dans le monde entier, sauf en Afrique », souligne Armelle Le Comte. La première génère autant d’émissions que l’Autriche ; la seconde, que les Philippines. A elles deux, « ces entreprises émettent par leurs activités autant de CO2 que la moitié des Français », poursuit Célia Gautier.
Une semaine plus tard, sous les dorures du ministère, les représentants de ces deux géants profitaient de l’annonce de leurs sponsoring pour sauver leur réputation. En Europe, « nous voulons doubler nos capacités en énergies renouvelables d’ici à 2025 », se félicitait Gérard Mestrallet, le pédégé d’Engie, soutenant que « la majorité des entreprises sont conscientes que la lutte contre le réchauffement climatique est indispensable ». Quid alors de l’extraction de charbon ? « Il ne s’agit pas de mettre dans le noir la moitié de l’humanité », se défendait-il.
… et leurs financeurs
« Avec BNP Paribas dans la liste des sponsors, ils ont quand même fait fort, s’exclame Yann Louvel. Ils ont choisi la pire des banques au regard du climat. » Entre 2005 et avril 2014, BNP Paribas a financé le secteur du charbon à hauteur de 15,6 milliards d’euros, dont 8,4 milliards de crédits, indique le rapport « L’argent sale des banques françaises »de BankTrack et des Amis de la Terre. « Les financements dans le charbon réalisés par cette seule banque représentent plus de la moitié de ceux de l’ensemble des banques françaises », explique Yann Louvel. « Si au moins ils avaient fait une annonce intéressante… »
Les pro-gaz de schiste
A contrario, le groupe Axa, sponsor de la COP21, a annoncé son intention de se détourner du charbon d’ici à la fin de l’année. La banque-assurance n’est pas « climato-compatible » pour autant. Son pédégé, Henri de Castrie, est un fervent partisan de l’exploitation du gaz de schiste, une activité fortement émettrice de gaz à effet de serre. En 2013, dans une interview au Figaro, il jugeait « le blocage français » responsable du fait que « nous n’ayons pas davantage de croissance ». Parmi les autres sponsors déclarés du futur sommet, cette prise de position ne détonne pas. En 2013, Suez environnement n’hésitait pas à répondre, sans succès, à un appel d’offres pour exploiter du gaz de charbon australien. En février dernier, le groupe cofondait même, au côté de GDF Suez et d’autres, le Centre hydrocarbures non conventionnels (CHNC), dont la vocation est de convaincre les pouvoirs publics d’autoriser les travaux d’exploration de cette ressource.
L’aviation et l’industrie automobile
Qu’ont en commun Air France, Renaut-Nissan et Michelin ? Ils financent la COP21, alors que leur activité repose essentiellement sur l’usage de modes de déplacement polluants. Renaut-Nissan s’en défend, se présentant comme « un pionnier de la voiture électrique » et rappelant sa production de 250 000 véhicules de ce type depuis 2010. Mais c’est surtout la présence d’Air France qui irrite les ONG. « Air France met en avant ses technologies et l’utilisation de biocarburants, mais dans le même temps ils misent sur une hausse du trafic et développent à l’échelle nationale des lignes low cost qui vont faire concurrence au train. Cette équation ne peut en aucun cas réduire les émissions », souligne Célia Gautier. Le RAC s’inquiète de voir l’activité du secteur aérien, déjà responsable de 2,5% des émissions mondiales, croître de 250% d’ici au milieu du siècle.
Le secteur du luxe
La présence de LVMH et des Galerie Lafayette sur la liste des partenaires de la COP21 va-t-elle de soi ? Comparée à celle de à BNP Paribas ou d’EDF, elle fait peu tiquer les ONG. « On peut simplement noter que l’activité de ces entreprises repose sur un mode de consommation qui n’est pas soutenable », nuance Célia Gautier.
Ikea et un imprimeur qui fait son mea culpa…
Le soutien d’Ikea à la COP21 fait écho à son intention de passer aux énergies 100% renouvelables. « Un engagement concret, mesurable et significatif », salue Célia Gautier. Ce mercredi, au ministère des Affaires étrangères, une responsable du groupe a annoncé l’utilisation du maillage du territoire par ses magasins « pour créer le buzz » autour de la COP21. A ses cotés, le patron de ACI, une imprimerie de moins de 20 salariés de Seine-Saint-Denis, représentait les TPE dans ce parterre de partenaires. Reconnaissant l’impact néfaste de cette activité, il voit sa participation comme le « service civique » de son entreprise.
Aux yeux des ONG, cette approche – presque – désintéressée détonne. « Un mécénat de ce type ne vient jamais gratuitement », estime Célia Gautier qui craint que les entreprises nocives pour le climat s’appuient sur ce partenariat pour promouvoir leurs positions. « On redoute, par exemple, qu’elles puissent peser en faveur d’une neutralité technologique de l’accord… Ce qui laisserait le champ libre au nucléaire ou au stockage du carbone, qui, pour nous, sont de fausses solutions. » Yann Louvel partage ces inquiétudes : « Ça va plus loin que juste une mauvaise blague… », conclut-il.
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