Terra eco : Personne ne semble croire à un accord global sur la réduction des émissions à Cancún. Mais que peut-on vraiment attendre de ce sommet ?
Brice Lalonde : Il faut qu’il y ait une avancée et qu’on scelle cette avancée. On sait déjà que sur certains points, on peut parvenir à un accord : sur les émissions qui proviennent de la déforestation, sur la coopération technologique, sur la création d’un fonds vert qui viendra compléter les mécanismes de financement existants. Et on sait aussi qu’on doit pouvoir traduire, dans une décision, les engagements qui ont été pris à Copenhague par les chefs d’Etat en matière de réduction d’émissions et de transparence. On sait que tout cela est possible.
Mais on ne pourra avancer que si l’ensemble de ces points constitue un ensemble à peu près équilibré. Avant, on croyait à un accord exhaustif (soit il y avait un accord sur tout, soit pas d’accord du tout, ndlr) ; aujourd’hui, on a compris qu’on n’y arriverait jamais. On cherche donc un accord dans lequel tout le monde trouve son compte : le Nord, le Sud mais aussi les pays développés entre eux. C’est un équilibre délicat. En principe, ça se passe la dernière nuit de négociation, quand tout d’un coup les ministres se disent : « Ça y est. On a trouvé quelque chose ». Reste que certaines questions peuvent faire déraper le processus. Notamment celle de la forme juridique que doit prendre l’engagement des pays non engagés dans Kyoto. Ou parce que dans le système des Nations unies, où les décisions sont prises à la quasi-unanimité, il suffit que trois ou quatre pays ne soient pas d’accord pour tout bloquer…
Vous parlez d’accord sur des points précis. Un accord global sur les émissions prendra plus de temps ?
190 pays, vous vous rendez compte ? Le paysan andin, le pêcheur mauritanien, le commerçant chinois, tous ces gens pour lesquels le changement climatique n’est pas la première priorité ! Que 190 pays avec toute cette population signe un traité dont l’objectif sera de transformer l’économie mondiale, de progressivement sonner le glas des combustibles fossiles, de passer aux énergies renouvelables, à la sobriété énergétique… Ce n’est quand même pas rien ! Ce n’est pas pour tout de suite, voilà.Disons qu’en 2011, en Afrique du Sud, on peut attendre que l’accord de Cancún soit complet. On aura déblayé ce qui reste à négocier pour mettre en place la seconde phase de Kyoto pour les pays engagés dans le protocole et on aura négocié ce qui reste à déterminer de l’accord de Copenhague : le fonds vert, la source des financement innovants… Ce sera le dernier accord double avant l’accord unique.
Un accord unique qui commence à ressembler au Graal…
Oui, c’est tout à fait ça. C’est comme en physique, on cherche la grande unification ! Mais cet accord ne viendra peut-être que valider ce qui existera déjà. L’impulsion du changement, je ne pense pas qu’elle vienne des Nations unies, je pense qu’elle vient d’ailleurs. Elle vient de groupes plus petits, peut-être de deux ou trois pays…Les chefs d’Etat ne devraient pas être présents à Cancún. Certaines ONG pensent que cela apaisera le débat. Vous-même, le regrettez-vous ?
A Copenhague, heureusement que les chefs d’Etat sont venus. Ils ont transpiré, ils ont mouillé leur chemise. J’étais absolument épaté. Ils ont passé une nuit blanche et une journée entière à négocier. S’ils n’avaient pas été là, ç’aurait été un échec total.Leur présence est importante. C’est tellement lourd ce qu’il y a à décider… Refaire toute l’économie mondiale, c’est quand même une affaire importante. Et la plupart du temps, les ministères de l’Environnement des pays n’ont pas la capacité d’engager de tels budgets. Mais il faut faire avec ce qu’on a. Au moins, nous aurons des ministres.
Vous allez quitter le poste d’ambassadeur français pour le climat l’année prochaine. Vous ne verrez peut-être jamais la signature un accord international…
Je ne serai pas loin (Brice Lalonde devrait être coordinateur du Sommet de la Terre à Rio en 2012, ndlr). Je le verrai. Peut-être pas de mon vivant. Vous savez, ça risque de durer tout le siècle. Et il n’y a pas que le carbone : il y a aussi le phosphore, l’azote, la biodiversité, la couche d’ozone, l’acidification de la mer… On est entré dans un monde nouveau. Les problèmes sont nouveaux, on est en train d’essayer de les régler. Tout est à inventer.A lire aussi sur Terra eco :
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