La Commission a entre ses mains des études qui confirment que les biodiesels ont un impact sur l’environnement plus nocif que celui des carburants fossiles classiques. Embarrassée, et alors qu’elle était attendue sur le sujet courant juillet, elle a choisi de temporiser jusqu’à la rentrée avant de publier son rapport conclusif. Celui-ci pourrait donner lieu à une proposition législative en matière d’encadrement des agro-carburants. Les associations de défense de l’environnement y voient déjà un manque d’ambition et craignent des conséquences néfastes pour la planète.
Critères de durabilité insuffisants
« Nous avons fixé les normes de durabilité les plus exigeantes du monde », se félicitait ce mardi le Commissaire européen aux énergies, Günther Oettinger, alors qu’il dévoilait la liste de sept regroupements agrémentés pour certifier des agro-carburants dits « durables » en Europe. Pourtant, les ONG ne se joignent pas au satisfecit. « La Commission aurait du fournir une méthodologie pour prendre en compte l’impact indirect des agro-carburants », regrette Jérôme Frignet, chargé de campagne forêts pour Greenpeace France. Les critères de durabilité adoptés seraient donc insuffisants.
Définis en 2009, ils exigent que les cultures de soja, maïs, colza et autres tournesols, ne soient pas plantées sur des terres qui ont une forte capacité de stockage du carbone ou une grande valeur pour la biodiversité (forêts tropicales ou naturelles, tourbières (1), zones humides et protégées). De même, les producteurs doivent prouver que, de la mise en culture à la pompe, leurs agro-carburants émettent 35% de moins de gaz à effet de serre que les carburants fossiles type essence (en 2017, cet impératif grimpera à 50%).
Déforestation indirecte
Là où l’Europe ne dit rien, c’est à l’endroit des CASI, les changements d’affectation des sols indirects. Traduction : le changement d’affectation d’un sol consiste à cultiver des agro-carburants à la place d’une forêt. Comme on l’a vu plus haut, l’Europe ne le tolère pas pour les agro-carburants qu’elle importe ou produit, et ce faisant qu’elle subventionne. En revanche, elle reste muette sur les changements indirects : « Cela veut dire que l’on peut utiliser des sols qui ont des usages agricoles vivriers pour faire des agro-carburants et entraîner le déplacement des cultures alimentaires à l’endroit de forêts. C’est une déforestation indirecte », explique Nusa Urbanic, de l’ONG européenne Transport & Environnement.
Quelle est le poids des CASI ? Considérable, si l’on en croit l’étude diligentée par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) pour le compte de la Commission. « Les résultats n’ont pas été rendus publics par la Commission mais il y a eu des fuites, assure Jérôme Frignet. L’impact environnemental des biodiesels est supérieur à celui du gazole fossile ».
Des émissions doublées
En moyenne, la prise en compte des CASI doublerait le bilan carbone des biodiesels. De quoi sérieusement annihiler leur intérêt. Pour Jérôme Frignet, si l’on tirait toutes les leçons de cette nouvelle, la filière du biodiesel serait quasiment vouée à disparaître. Ne tireraient leur épingle du jeu que les bioéthanols (blé, maïs, betterave, canne à sucre) utilisés pour les véhicules à essence, et qui représentent à peine un tiers des agro-carburants. En revanche, adieu, tournesol, soja, colza, huile de palme. L’Europe prendra-t-elle ce risque, alors qu’elle s’est fixée d’atteindre 10% d’énergies renouvelables dans les transports d’ici à 2020 ? « C’est la grande inconnue », dit Jérôme Frignet qui sait que, face à la Commission, la filière industrielle, représentée en France à travers des groupes comme Sofiprotéol, saura résister de tout son poids.
Une demande croissante
Si la Commission fermait les yeux, les conséquences seraient considérables, alertent les ONG qui ont commandé une étude d’impact à l’Institut pour la politique européenne environnementale (IEEP). « Pour atteindre l’objectif de 10% d’agro-carburants en 2020, l’Europe aura un besoin en terres équivalent à la superficie de l’Irlande, dit Nusa Urbanic. En terme de gaz à effet de serre, ce serait l’équivalent de 19 à 24 millions de véhicules additionnels en circulation ».
Qui pâtira en premier de cette demande croissante ? « En France, 30% du biodiesel est importé », dit Jérôme Frignet. Du soja d’Amérique latine, de l’huile de palme d’Indonésie ou de Malaisie… Autant de pays qui risquent de voir leur forêt trinquer.
(1) Terrain formé de tourbe, produit combustible résultant de la décomposition lente de plantes herbacées dans les eaux stagnantes.
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