A Huangmengying, dans le comté de Shenqiu, « l’or bleu » est une malédiction. La rivière Shaying, qui irrigue cette bourgade de 2 500 âmes, dans la pauvre province centrale du Henan, aurait pu lui donner un enviable cachet. Au contraire, elle l’enserre, l’empoisonne. Les chiffres sont accablants. Entre 1990 et 2005, 114 habitants de ce village sont morts du cancer, soit la moitié des décès totaux. C’est ce qu’affirme l’ONG Les Gardiens du Fleuve Huai…
A Shenqiu, entre 1973 et 1995, le nombre de morts provoquées par le cancer du poumon a été multiplié par 20, selon Yang Gonghuan, professeur à l’Académie chinoise des sciences médicales de Pékin. En juin dernier, cette chercheuse a publié « un atlas des cancers », circonscrit au bassin du fleuve Huai. Une zone qui concentre 165 millions d’habitants. S’étalant sur 10 ans, cette enquête inédite a prouvé le lien entre cancer et pollution des nappes phréatiques.
Huangmengying n’est donc que le pire exemple de ces « villages de cancéreux », que les autorités chinoises, jusque-là muettes sur la question, ont été contraintes de reconnaître l’an passé.
Après s’être enrichis, les pollueurs sont simplement partis
« Ici, on pense que tout ça, c’est de leur faute, mais rien n’a jamais été prouvé », lâche un homme dont le père est mort du cancer. En effet, ces dernières années, dans le seul comté de Shenqiu, plus de 700 usines ont fermé. Elles produisaient notamment des teintures, des produits pétrochimiques ou du glutamate de sodium. Après avoir plié boutique, les patrons, enrichis, sont simplement partis. Autre facteur aggravant, la construction d’un barrage hydroélectrique en amont du fleuve, qui a conduit à une stagnation des eaux et à leur contamination.Mais comment prouver la responsabilité de ces industriels ? « Les causes du cancer sont complexes, rappelle Yang Gonghuan. Mes recherches portent sur des régions qui ont été polluées il y a 15 ou 20 ans. Jamais on ne pourra prouver que telle ou telle entité a été responsable. » Même son de cloche du côté de Dai Renhui, avocat au Centre d’aide aux victimes de la pollution, une ONG basée à Pékin : « Le droit environnemental existe. Sur le papier. Les tribunaux refusent les prélèvements effectués par de simples citoyens et préfèrent dépêcher des agents des départements locaux de l’environnement, lesquels, avant de procéder aux tests, avertissent les industriels qui freinent alors leur production. » Le tout avec l’aval des barons locaux, longtemps promus en fonction de la croissance économique de leur territoire !
Ce droit environnemental, s’il était réellement applicable, resterait de toute façon méconnu des villageois. Pour Dai Renhui, parmi ces habitants « pauvres, parfois illettrés, très peu savent s’organiser politiquement ou saisir la justice ».
« Plus personne ne boit l’eau du robinet, trop polluée »
Dans le dispensaire de la moribonde grand place de Huangmenying, Wang Shiwen, le médecin du village, prend des nouvelles de ses patients, comme un curé le ferait de ses fidèles. « J’en ai vu défiler des malades, glisse ce quadragénaire, sans quitter son air débonnaire. Mais depuis quelques années, ça va mieux. Trois nouveaux puits ont été construits, le premier en 2004 et le dernier en 2011. On peut dorénavant puiser profondément de l’eau et la redistribuer à tout le village. » Des travaux a minima donc, qui s’inscrivent dans un plan général d’assainissement du fleuve Huai, financé par la province du Henan et dont le coût s’élève à 240 millions de yuans [28 millions d’euros].Au final, le mal a été contourné plus qu’enrayé dans ce village. « Plus personne ne boit de l’eau du robinet. Elle est trop polluée ! Pour se laver ou pour la cuisine, nous utilisons essentiellement de l’eau de l’extérieur », explique tranquillement une jeune mère. Son bébé dans les bras, elle explique ne s’être jamais résolue à partir. « Je ne connais personne ailleurs », se justifie-t-elle.
Le village ne s’est d’ailleurs pas vidé. Des constructions sont même en cours dans la localité. Chacun y cultive son lopin de terre, et peu importe la pollution des sols. « Que peut-on faire ? Ici, nous sommes tous des paysans », s’exclame, dans un rire communicatif, un quadragénaire avenant, avant de, brusquement, baisser les yeux. Et l’homme de s’empresser de conclure : « On ne peut se passer d’eau. La terre, c’est notre gagne-pain ! »
Cet article d’Edgar Dasor a initialement été publié, le 27 mars, sur Novethic, le média expert du développement durable.
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