Douze ans de scolarité – au moins – tendues vers un but : l’obtention du baccalauréat. Même si on dit ce Graal bradé, et même s’il n’ouvre plus beaucoup de portes, nul doute que les 703 059 candidats de la session 2012 du bac ont eu quelques palpitations avant le dévoilement des résultats de l’épreuve, ce vendredi. Reçu ? Avec mention ? Peut-être renvoyé au rattrapage ? Retentera sa chance l’année prochaine ?
Ce sont leurs notes qui permettent de départager les bacheliers. Principal moyen d’apprécier les travaux des élèves, ces chiffres servent avant tout à hiérarchiser ces derniers, tout au long de leur scolarité. Pourtant, la loi ne fait pas référence à la note comme unique système d’évaluation des élèves, quel que soit leur niveau d’études. Le mode d’évaluation est laissé à la discrétion de l’enseignant.
Pour le ministre de l’Education, notes = souffrance
De nombreuses voix s’élèvent – et ce n’est pas récent – pour exiger que soit mis fin, à l’école, au système d’évaluation par les notes. Les résultats du bac ce vendredi, l’ouverture jeudi d’une concertation entre le ministère de l’Education nationale et les acteurs de l’éducation sur la refondation de l’école française, mais aussi les récents propos du ministre Vincent Peillon, ont fait ressurgir cette question de la pertinence de la notation des élèves.Début juin, Vincent Peillon a exprimé sa volonté de la « faire évoluer », estimant qu’elle est source de trop de « souffrance ». « Nous sommes le pays où la note sert toujours de sanction et jamais d’encouragement […]. Nos élèves ne sont pas heureux comme ils devraient l’être », a-t-il déclaré lors de l’assemblée générale de la Peep (Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public), seconde fédération de parents d’élèves.
Un apprentissage pollué ?
L’Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) applaudit. En charge d’accompagner des enfants en situation de fragilité scolaire dans les quartiers populaires, l’association a même lancé en 2010 une pétition pour la suppression des notes en primaire, qui a recueilli à ce jour quelque 9 000 signatures. « On constate sur le terrain les effets déstabilisants des mauvaises notes, surtout en tout début de parcours scolaire, en primaire. Elles polluent l’apprentissage des moins bons élèves, placés en compétition avec les meilleurs de la classe, et vite découragés. Plutôt que de pointer du doigt les échecs, les évaluations devraient montrer à l’enfant quelles sont ses compétences, là où il a progressé, et là où il lui reste des efforts à faire », explique Eunice Mangado-Lunetta, directrice déléguée de l’Afev.A contrario, avec une note de 0 à 20, « il est impossible à l’élève de savoir de façon claire, sur quel point porte exactement sa note. Par elle-même, la mauvaise note ne dit pas à l’élève sur quel point il devra apporter des corrections pour réussir un autre travail du même type », peut-on lire sur le site du pédagogue Philippe Meirieu.
Des notes subjectives et peu révélatrices
Valoriser les apprentissages avec des évaluations du type « acquis », « en voie d’acquisition » ou « non acquis » (comme cela se fait déjà dans certains établissements du primaire) permettrait d’aider l’élève à mesurer ce qu’il apprend et d’éviter les biais de la notation. En effet, ceux qui se sont penchés sur les enseignements des travaux de docimologie, discipline consacrée à l’étude du déroulement des évaluations en pédagogie, savent que toute note - même dans les disciplines dites « exactes » – est relative, et dépend de conditions très diverses.Pierre Merle, professeur de sociologie à l’IUFM de Bretagne, les liste dans un article repéré sur le site du magazine Sciences humaines. Les correcteurs sont en effet susceptibles d’être influencés, dans leur notation, par l’ordre de correction des copies – on est généralement plus indulgent avec celles qui sont dans le premier tiers du tas – ou le niveau de la copie corrigée juste avant.
Par ailleurs, quand un prof corrige la copie d’un élève qu’il pense être bon, la note attribuée est meilleure que s’il pensait avoir la copie d’un mauvais élève. De plus, les élèves d’origine aisée – mais au fait, pourquoi demande-t-on aux enfants la profession de leurs parents en début d’année ? – bénéficient de stéréotypes positifs et sont en moyenne mieux notés que les autres. Et les filles, plus sages en classe, obtiennent de meilleures notes que les garçons, à copies identiques.
« Le moins mauvais des systèmes »
Ainsi, les notes n’ont pas forcément grand chose à voir avec la qualité intrinsèque du travail rendu. Et varient grandement d’un enseignant à l’autre. « C’est pourtant le moins mauvais des systèmes », plaide Jean-Rémy Girard, responsable pédagogie du Snalc, deuxième syndicat le plus représenté chez les professeurs du second degré aux dernières élections professionnelles.
Les notes, « c’est lisible, ça permet tout de suite à l’enfant comme aux parents de voir le niveau de l’élève ». Pour lui, sans être objective, « la note a le mérite de l’honnêteté : un devoir mauvais aura une mauvaise note. Avec le système d’évaluation des compétences, on trouve toujours quelque chose de positif à dire, on donne l’impression que ce qu’a fait l’élève est mieux que la réalité. Certains disent que ça redonne de l’estime de soi à l’élève. Mais c’est faux. Au contraire, comment réagira-t-il quand il se rendra compte trop tard de ses difficultés ? »
L’évaluation par contrat de confiance, l’avenir de la note ?
Pour André Antibi, professeur de didactique à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, le problème est ailleurs. Lui non plus ne remet pas en cause le système de notation en soi. Mais il mène bataille depuis des années contre ce qu’il appelle « la constante macabre » : « C’est quand, quel que soit le niveau des élèves, il y a toujours un tiers de très bons élèves, un tiers de moyens, et un dernier tiers de mauvais élèves. Et les élèves défavorisés sont souvent dans le dernier tiers », explique-t-il. Avant de poursuivre : « En France, des profs qui n’auraient que d’excellents élèves et donc qui ne mettraient que de bonnes notes seraient accusés de laxisme. Pour être crédible, il leur faut un certain pourcentage de mauvaises notes dans la classe. Cela met des enfants en échec de manière artificielle. »Lui plaide pour une nouvelle culture de l’évaluation : l’évaluation par contrat de confiance. Un prof s’engage auprès de ses élèves à ne pas leur poser de question piège lors des contrôles, mais de s’en tenir à la leçon. Si un élève a bien compris et révisé correctement sa leçon, il obtient une bonne note. Ce système travail/récompense est, selon André Antibi, « une incitation au travail ». Car l’élève comprend qu’il ne travaille pas pour rien. Et tant mieux si l’on bouscule la tradition qui veut que le niveau moyen des notes ne doit pas dépasser le 10/20. A ce jour, 30 000 enseignants mettent ce contrat en pratique en France. Et Vincent Peillon semble s’y intéresser de près.
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