Le chantier de ce qui devrait être le troisième plus grand barrage hydroélectrique du monde n’est décidement pas un long fleuve tranquille. Le 14 août, la Cour fédérale de la région d’Altamira, dans l’Etat du Pará (Brésil) a décidé à l’unanimité d’ordonner l’arrêt des travaux de Belo Monte situé sur le fleuve Xingu, arguant du fait que les Indiens vivants dans la zone n’ont pas été consultés avant le début de la construction, ce qui contrevient aux lois brésiliennes et aux conventions internationales (OIT) signées par le pays.
« La décision de la Cour met en lumière l’urgente nécessité du gouvernement brésilien et du Congrès de respecter la Constitution fédérale et les conventions internationales sur la consultation préalable des communautés indigènes concernant les projets qui mettent en danger leur mode de vie et leur territoires », a ainsi déclaré la juge à l’origine de la décision, Souza Prudente. Pour que les travaux, débutés l’an dernier, puissent reprendre, le tribunal demande à ce que les Indiens soient auditionnés par les parlementaires mais aussi que soit rédigé un nouveau décret législatif autorisant les travaux. Dans le cas où le consortium Norte Energia (filiale à 49% d’Eletrobras) en charge des travaux ne respecterait pas sa décision, une amende de 500 000 reais par jour (environ 200 000 euros) serait prélevée.
Un simple sursis ?
Mais l’avenir du barrage est-il vraiment menacé ? Si les opposants se félicitent de cette décision, la partie est loin d’être gagnée. D’abord, il est très probable que le consortium – qui a indiqué à l’AFP attendre la notification officielle pour répondre sur le plan juridique – fasse appel du jugement. Ensuite, l’ampleur du projet, sujet à controverse depuis ses débuts, a déjà fait l’objet de décisions de justice, vite invalidées ou non suivies d’effet. Pourtant, « c’est une décision historique pour le pays et pour les peuples du fleuve Xingu. C’est une grande victoire qui montre que Belo Monte n’est pas un fait acquis. Nous sommes très heureux et satisfaits », commente ainsi Antonia Melo, coordinatrice de Xingu Vivo, une association d’opposition au projet.« Cette décision renforce la requête faite par la Commission interaméricaine des droits de l’homme d’avril 2010 qui suspend le projet du fait d’un manque de consultations des communautés indigènes. Nous espérons que Norte Energia et le gouvernement respecteront cette décision et respecteront le droit des communautés indigènes », veut croire de son côté Joelson Cavalcante, de l’association interaméricaine pour la défense de l’environnement (Aida), dans un communiqué commun avec International Rivers et Amazon Watch.
502 km² inondés et 25 000 personnes déplacées
Les communautés, elles, n’ont pas cessée de dénoncer ce projet, dès les premières étapes de la réflexion dans les années 1980. Celui-ci nécessitera en effet l’inondation de 502 km² et le déplacement de près de 25 000 personnes. Les opposants dénoncent également une perte de biodiversité inestimable sachant que le fleuve Xingu compte de nombreuses espèces endémiques. Face aux polémiques, le gouvernement a d’ailleurs prévu des investissements de plus d’un milliard d’euros pour réduire les impacts négatifs de la construction. Mais cela reste insuffisant aux yeux des opposants.De fait, les manifestations locales et les pétitions internationales demandant l’arrêt du projet se succèdent depuis des années (celle de Gota d’Agua compte près d’1,5 million de signatures, celle d’Avaaz 750 000 et celle du chef Raoni 350 000), des personnalités comme le chanteur Sting ou le réalisateur d’Avatar, James Cameron, ayant relayé la polémique. En juin dernier, le chef Raoni – connu pour son combat de défense de l’Amazonie – avait aussi interpellé l’ONU lors de la conférence de Rio+20 qui se tenait au Brésil, tandis que des centaines d’Indiens protestaient sur le chantier.
Mais le barrage est l’une des clés de voûte de la politique énergétique du Brésil. L’énergie hydroélectrique qu’il devrait permettre de produire par les 27 turbines est estimée à 11 233 mégawatts crête, ce qui représenterait près de 11% de l’électricité générée dans le pays. Par ailleurs, la construction qui coûterait aux alentours de 13 milliards d’euros, emploiera 12 000 ouvriers travaillant jour et nuit d’ici la fin de l’année et jusqu’à 22 000 en 2013 pour que la première turbine puisse fonctionner en 2015 (la dernière en 2019). Des arguments de poids pour la sixième économie du monde.
Cet article de Béatrice Héraud a initialement été publié le 17 août 2012 sur le site de Novethic, le média expert du développement durable.
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