Lorsqu’un fumeur du Languedoc-Roussillon traverse la frontière espagnole en quête d’une cartouche bon marché, son voisin agriculteur parcourt peut-être le même chemin pour se procurer des pesticides. Producteur de maïs ou de blé, ce céréalier n’espère pas forcément faire des économies. Il est à la recherche de phytosanitaires interdits depuis dix ou vingt ans sur le marché français. « Le principal attrait de ces produits c’est leur efficacité, ils sont d’une nocivité redoutable », explique Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. La semaine dernière, plusieurs membres du syndicat ont brandi devant la presse des factures en espagnol. Le contenu de leurs emplettes ? Du Maypon Flow, un herbicide à base de carbendazime qui, selon l’AFP, peut provoquer « des altérations génétiques héréditaires ».
Car c’est bien parce qu’ils sont « redoutables » que ces pesticides sont interdits. Au début de l’année 2013, la présence de carbofuran, un principe actif banni depuis 2008, a été détecté dans le Tarn à la suite d’une surmortalité de chevreuils. D’autres ont été rayés de la liste du fait de leur rémanence : « Ils ne se dégradent pas, et gisent au fond des nappes phréatiques », explique Martin Guespereau, le directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse au magazine Jol Presse. En 2011, cette même agence relevait, dans les eaux superficielles du quart sud-ouest du pays, la présence de 49 substances interdites depuis 2003. Pas moins de 40% des rivières et 20% des nappes phréatiques de la zone étaient contaminées. L’agence indiquait alors que « le niveau des concentrations mesurées ne laisse que peu de doutes quant à une utilisation illicite de ces produits ». La Confédération paysanne soutient que ces concentrations sont en augmentation. Tandis qu’en juillet dernier, l’ONG Générations futures a testé 49 échantillons de fraises vendues dans les commerces. Résultat : 18% d’entre eux présentaient des traces de pesticides illicites.
25% des pesticides en circulation proviennent du commerce illicite
Le phénomène touche aussi le Nord-Pas-de-Calais. « Là-bas, les agriculteurs vont chercher leurs pesticides en Belgique », indique Laurent Pinatel. Le problème est donc européen. Selon Europol, l’agence intergouvernementale de police criminelle, les pesticides seraient, au même titre que la drogue ou les armes, l’objet d’un important trafic, à moindres risques. L’agence estime que, dans certains pays membres de l’Union européenne, 25% des pesticides en circulation proviennent du commerce illicite. Pour expliquer le développement de ce trafic, qui passe aussi par Internet, Générations futures souligne que « les moyens des services de contrôles émanant du ministère des Finances ou de l’Agriculture sont limités et ce qui rend difficile les interpellations ». En 2010, les quelques vendeurs de pesticides épinglés avaient écopé d’amendes allant de 500 à 5000 euros.
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