Cent quatorze ans séparent ces deux images. Pourtant, elles se ressemblent bigrement. Toutes deux montrent une passerelle longiligne dédiée aux vélos. Au dessus du tissu urbain, elle vise à s’affranchir des obstacles et des feux qui scandent la circulation, à offrir aux cyclistes un trajet rapide et sûr, le moins fatigant possible. Construite en 1900, la voie cyclable de Californie qui devait relier Los Angeles à Pasadena en 10 km d’aménagement payant a fini par mourir, faute de passage, après seulement 2 km construits. Mais désormais, une communauté tente de la faire renaître. A Londres, c’est l’idée saugrenue qu’a eue l’architecte star Norman Foster de percher 220 km de pistes au-dessus du réseau de trains de banlieue qui a remis l’idée à la mode en janvier 2014. Très spectaculaires, ces deux exemples ne sont pas les seules illustrations de ces aménagements rapides. C’est même tout l’inverse.
Majoritairement, les voies express pour vélos déjà existantes ou en projet en France et en Europe n’ont rien à voir avec des structures hors-sol. Aussi certains experts récusent-ils le terme même d’« autoroutes ». « Ce terme ne correspond pas à la réalité, attaque d’entrée Frédéric Héran, maître de conférences en économie à l’université de Lille 1 et auteur de Le Retour de la Bicyclette (La Découverte, 2014). Sur une autoroute, vous ne pouvez sortir qu’au niveau des échangeurs. Quand vous circulez, vous n’avez aucun lien avec les abords. Ce sont des objets extraterritoriaux, alors que ce dont on parle aujourd’hui, ce sont des superpistes cyclables qui adhèrent au territoire et le long desquelles on peut s’arrêter à tout moment. » Ce sera, par exemple, le cas du Reve, le bien poétique nom du « Réseau vélo express » aussi dénommé Vélostras, qui doit mailler le territoire strasbourgeois de 9 radiales et 3 circulaires à l’horizon 2020. A l’étranger, on retrouve ces superpistes – en nombre bien plus important – aux Pays-Bas, au Danemark, en Belgique ou en Allemagne. Outre-Rhin, ce sont dix kilomètres de ces pistes inaugurés à la fin du mois de novembre dans le cadre d’un projet d’une centaine de kilomètres qui a fait s’emballer la machine médiatique à la fin de l’année de l’année dernière.
Des lignes sur du gruyère
Mais qu’est ce qui caractérisent ces pistes express cyclables ? « Ce sont des voies non stop où tout est fait pour que le cycliste puisse rouler à 20 km/h de moyenne sans franchissement d’obstacles, ni de coupures », décrypte Frédéric Héran. « C’est un aménagement cyclable qui prévoit le moins d’arrêts possibles, où les intersections sont traitées et qui donne la priorité à la continuité et au confort du cycliste pour lui permettre un bon débit », abonde Véronique Michaud, secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables. Or, dans les zones périurbaines, il y a fort à faire pour assurer une continuité. « Si vous regardez les territoires du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis, ce sont des zones coupées haché menu. Il y a des autoroutes urbaines, des voies ferrées, des zones immenses comme le cimetière de Pantin, l’aéroport du Bourget… Quand il faut les contourner à la force du mollet, ce n’est pas simple », précise Frédéric Héran. Et puis il y a aussi les obstacles naturels : la Seine notamment, toujours en Ile-de-France. « A Paris, il y a au moins 40 ponts, elle est très franchissable. Mais au sud de la capitale, il y a des franchissements tous les 3 à 4 kilomètres », poursuit l’universitaire.
Mais si l’on parle surtout de ces superpistes en zone périurbaine (sauf dans le cas du projet de Norman Foster), c’est qu’elles ne sont pas la panacée à tout… et partout. « En zone dense, c’est difficile de séparer le vélo des autres modes de transport. La séparation rend les sorties et les entrées dans le « tube » très difficiles. Or, en centre-ville, les destinations sont multiples », explique Véronique Michaud. Aussi faut-il un « bon dosage. Des autoroutes à vélo pour pénétrer dans les villes et un partage de la voirie dans les centres. C’est la réflexion qu’a menée la ville de Strasbourg. Le Vélostras, ce sont des radiales pour relier toute l’agglomération au centre, mais la ville ne remet pas pour autant en cause sa politique de modération de la place de la voiture. » « Un réseau cyclable doit comporter deux niveaux, renchérit Frédéric Héran. Le réseau dit « principal » ou « magistral » avec des voies sans discontinuité, bien maillé et rapide. Le réseau secondaire pour desservir les quartiers en zone 30. Un réseau qui n’a pas besoin d’aménagements spécifiques et dans lequel tout le monde cohabite. »
Recycler l’existant
Quid du financement ? L’utopie de Norman Foster coûterait plusieurs centaines de millions de livres, selon l’aveu même de ses designers. Mais, même à viser moins haut, en Allemagne, la centaine de kilomètres de pistes express au sol peine encore à trouver un financement, soulignait l’AFP à la fin du mois de décembre. Et en France ? « Quand on est obligés de recréer une voie, ça peut poser un problème foncier. On peut avoir perdu l’emprise sur la voirie. Si une route directe existait il y a cent ans entre tel ou tel bourg, on peut avoir construit un lotissement le plus étanche possible avec une voirie en escargot, impossible à traverser. Et qui dit problème foncier, dit problème pécuniaire », décrypte Véronique Michaud. Mais, poursuit l’experte, « on peut imaginer un changement de destination des voies existantes. Sur une rocade urbaine, on peut, par exemple, affecter une voie séparée aux vélos parce que la part de la voiture a baissé. Ce n’est pas forcément agréable de rouler à côté des voitures, mais ça peut rendre des services à l’usager. On peut aussi regarder du côté des voies vertes. Si elles sont plutôt utilisées pour les balades piétonnes, cyclables le week-end, on pourrait aussi les repenser pour la mobilité quotidienne en semaine. »
Une chose est sûre : malgré le succès médiatique qui les entoure, on est encore loin d’une généralisation de ces aménagements. « Il y a eu un peu d’emballement après la dépêche AFP [sur le projet allemand], rappelle Véronique Michaud. Mais c’est quand même un signe intéressant. Ça montre qu’on commence enfin à penser le vélo sur des distances supérieures à 3 km et sur un temps supérieur. Pendant longtemps, une distance de plus de 3 km, c’était synonyme de souffrance. Le vélo était disqualifié d’office au profit de la voiture. Alors que parcourir 3 km en vélo, ce n’est pas vraiment un exploit. » « Un des enjeux des autoroutes cyclables, c’est d’arriver à convaincre des gens qui ne font pas trop de vélo de s’y mettre. Les usagers quotidiens n’ont pas peur d’affronter un croisement difficile mais pour les autres, c’est mieux d’avoir un trajet balisé, sécurisé. Même si le danger est assez faible, le sentiment d’insécurité reste assez fort », souligne Laurent Barelier, chargé d’études pour le cabinet Chronos.
Et demain ?
Idéalement, pour Laurent Barelier, chargé d’études pour le cabinet Chronos, un bon aménagement « doit être connecté aux transports en commun, avec une possibilité de prendre le train ou le tram si on est fatigué ou s’il se met à pleuvoir. Une autre chose qui marche bien, ce sont les services aux cyclistes, avec des ateliers de réparation le long de l’itinéraire, une signalétique, des commerces ». Une utopie ? Pas forcément. En Suède, la voie entre Lund et Malmö est « maillée de stations de bus et de trains » tandis que « l’autoroute cyclable belge entre Louvain et Bruxelles (26 km) est reliée aux gares le long de la ligne à grande vitesse, en fournissant une signalétique dédiée », précise l’expert dans un texte publié sur le site de Chronos. Enfin, la « nouvelle génération » d’autoroutes cyclables en construction au Danemark, longues au total de 500 km, « fait la part belle aux services qui jalonnent ces parcours : pompes à vélo, aires de repos, bornes de réparation rapide », poursuit l’article.
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