A l’heure de faire ses « comptes CO2 », le constat se révèle souvent douloureux. Pour ma part : 24 000 km de vol au compteur de l’année 2010 au cours desquels ont été rejetés 7 200 kg d’équivalent CO2. Soit 3,9 fois ce que la Terre peut supporter par personne et par an sans augmenter l’effet de serre. J’avoue : je n’ai toujours pas trouvé le moyen de faire mon job sans écharper les objectifs que je prône dans mes articles, comme réduire son empreinte écologique.
Il faut donc que je répare fissa cette offense à l’environnement. Prix de cette compensation, calculée sur le site de la fondation Good Planet : 145 euros. Et si je finançais la plantation d’arbres ? C’est bien, les arbres : c’est concret, vert dans tous les sens du terme et avec eux, on a vraiment l’impression de mettre la main à la pâte. Mais sur le terrain, comment ça marche ? Pour le savoir, je crains de ne pouvoir échapper à l’un de ces gloutons déplacements, un de plus à compenser.
Cap sur le Kenya pour passer quelques jours les pieds dans la boue avec le Green Belt Movement (GBM). Créée par la Nobel de la paix Wangari Maathai, l’ONG s’est choisi pour mission de replanter des arbres aux quatre coins du pays. L’endroit idéal pour comprendre les dessous de la reforestation et ce que vont devenir mes 145 euros.
Première escale, Matimbei, au cœur du massif kenyan des Aberdares, atteint après trois heures de routes épiques. Nids de poule et falaises s’enchaînent. Quand je pose enfin le pied à destination, un Green Belt Ranger fond sur moi, machette à la main. Ce membre du mouvement de Wangari Maathai prend sa mission très à cœur. « Plus de 11 000 plants ont été mis en terre, ici, en 2008. Je dois faire attention à ce que le bétail ne vienne pas les détruire en attendant qu’ils soient suffisamment robustes, détaille Antony Mwaura. Je veille aussi à ce que personne ne vienne couper du bois ici. »
Devant les milliers de fragiles pousses de genévriers d’Afrique, de pruniers africains et de chênes de Meru qui tentent de reverdir cette interminable balafre dans la forêt, on comprend toute la difficulté de son travail. Pas très loin vivent des communautés villageoises, dont la population augmente et les besoins alimentaires aussi, à l’instar de ce qui se passe dans tout le pays. A tel point que, dans les années 1990, le Président Moi a dû prendre une mesure radicale pour empêcher que les forêts nationales soient toujours plus grignotées : une barrière verte, faite de plantations de thé, sépare désormais les terres vivrières de la forêt préservée. Celle-ci se dresse justement sur la gauche. Mais manifestement, elle ne se porte toujours pas bien : vaches et chèvres viennent y brouter les jeunes arbres ; certains gardes du Kenyan Forest Service, l’instance officielle, ferment les yeux sur les coupes non autorisées en échange de quelques shillings. La colossale hémorragie continue.
Dans les années 1900, le poumon vert kenyan couvrait un tiers du territoire. Aujourd’hui, il ne s’étend plus que sur 1,7 %. En cause ? Une déforestation massive par les colonisateurs britanniques pour cultiver du thé et du café, un dépeçage des massifs par les pouvoirs successifs afin de les distribuer à leurs alliés ou encore les caprices d’une ex-première dame du pays qui souhaitait boire son propre mixed tea… A l’échelle mondiale, l’histoire se répète : 13 millions d’hectares de forêts disparaissent tous les ans. Si leur destruction met aujourd’hui le monde en alerte et amène l’ONU à consacrer 2011 année internationale de la forêt, c’est notamment parce que les scientifiques voient dans ces massifs un moyen de limiter l’emballement de la machine climatique.
Les projets se multiplient
Toutefois, enrayer l’abattage de forêts encore sur pied n’est pas chose facile. Alors, à défaut, les projets de reboisement se multiplient. Depuis 1977, le GBM a replanté 40 millions d’arbres. En Amazonie péruvienne, la « zone rouge » retrouve progressivement ses arbres grâce à un projet aidé par l’association Cœur de forêt. Les bois du Pontal do Paranapanema au Brésil sont en train d’être repeuplés de 116 millions d’arbres via le soutien de l’entreprise Kinomé. La société compte d’ailleurs en planter 15 milliards d’ici à 2018, puis autant par an pendant dix ans afin de faire recouvrer à la terre son couvert végétal de 1950. Le bureau de conseil en environnement ONF International estime ainsi qu’en vingt ans, les surfaces reboisées dans le monde ont augmenté de 40 %.Et pour financer cet élan (re)forestier, on pense bien évidemment à la compensation carbone. Avec cet outil, une entreprise, une institution ou un particulier peut compenser ses émissions de CO2 en finançant un projet qui permet d’« éviter » ou d’en séquestrer la même quantité.
Casse-tête arborescent
Avec les arbres, l’idée semble on ne peut plus simple : en en replantant, vous constituez un stock de carbone équivalent à vos émissions. Du moins en théorie… Car en pratique, les opérateurs n’osent pas, ou plus, proposer à leurs clients des projets de reforestation dans le cadre d’une compensation carbone. « Trop complexe ! », répondent-ils en chœur. Et de décliner leurs arguments. « Il faut souvent attendre au moins dix années de croissance des arbres avant que ces projets ne génèrent les crédits carbone qui permettent de les financer. C’est très long à gérer pour nous ! », explique Matthieu Tiberghien, chez Action Carbone. Et une fois ces crédits attribués, ils sont estampillés « temporaires » et non « permanents ». « Quand on compense une tonne de CO2 émise avec des arbres, il existe un risque qu’elle soit finalement relâchée dans l’incendie d’une forêt quelques années plus tard, ou tout simplement à la mort de l’arbre ! Avec des arbres, on a vraiment du mal à garantir que le carbone sera toujours stocké », poursuit-il.Enfin, évaluer le stockage en carbone d’une forêt relève d’un grand casse-tête. Les spécialistes parviennent à peu près à estimer la quantité de carbone qu’un arbre d’une espèce et d’une taille données peut stocker. Mais mettez-le dans un écosystème vivant, entouré de spécimens d’espèces différentes interagissant entre eux, avec le sol et les aléas climatiques, et les calculettes prennent un coup de chaud. Me voilà bien ennuyée pour compenser mes 7 200 kg d’équivalent CO2. Sur les 29 opérateurs de compensation signataires de la charte de bonnes pratiques de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, cinq à peine semblent avoir réussi à braver la complexité du processus permettant de requalifier un projet de reforestation en projet de compensation…
Et si la forêt avait surtout autre chose que la neutralité carbone à offrir ? « Nous choisissons nos projets de reforestation en fonction de l’impact qu’ils ont dans la vie quotidienne des populations locales, confirme Nicolas Métro, fondateur de l’entreprise Kinomé, qui propose de soutenir des projets de reforestation. Le financement via la compensation carbone peut aider certains d’entre eux, mais ce n’est pas ce qui motive leur lancement. » Et l’homme de rappeler les constatations parlantes du ministre de l’Environnement du Burkina Faso lors du sommet sur le climat de Cancún, en décembre dernier : dans ce pays, la part du Produit national brut attribuée aux activités forestières serait de 3 % à 5 %. Mais 43 % de la population dépendrait de ces massifs pour se nourrir, et 75 % pour se soigner !
Lorsque Wangari Maathai a lancé son mouvement, elle aussi avait une conviction : si les enfants se mettaient à souffrir de carences alimentaires dans les Aberdares, c’est parce que les villageois avaient troqué leurs cultures vivrières pour des plantations de thé et de café. Et celles-ci avaient fini par avoir raison des forêts qui, notamment, ne fournissaient plus assez de bois pour cuisiner, entraînant un changement de régime alimentaire…
Coincée entre la forêt kenyane de Geta et celle de Kipipiri, la ferme de Ndirangu Macharia n’aurait ainsi jamais dû manquer d’eau. Des sommets alentour dévalent les ruisseaux. Sauf que les pentes sont bien dégarnies : les arbres y ont été coupés, causant une érosion dramatique des sols et modifiant jusqu’au climat local. « Les pluies ont fini par diminuer et les cours d’eau se sont asséchés, témoigne le paysan de 72 ans. Ça a posé beaucoup de problèmes avec nos cultures. » Les dégâts ne sont d’ailleurs pas que locaux. « Les Aberdares, avec quatre autres massifs, sont les “ châteaux d’eau ” du Kenya. Ce sont eux qui fournissent de l’eau à tout le pays : quand les forêts des Aberdares souffrent, on le ressent jusqu’à Nairobi. Réhabiliter ces réservoirs d’eau est essentiel en terme de développement, que ce soit d’un point de vue agricole, sanitaire ou énergétique », développe Nyokabi Gitahi, chargée de mission à l’Agence française de développement, qui soutient le GBM à hauteur de 1,3 million d’euros sur la période 2006-2011.
Les femmes en première ligne
C’est l’une des pépinières du mouvement que Ndirangu Macharia a décidé d’accueillir sur sa ferme, il y a plusieurs années. Cette petite révolution a bouleversé les habitudes dans la forêt de Geta : « Les personnes qui coupaient les arbres sont les mêmes que celles qui replantent désormais ! Avant, nous utilisions la forêt mais nous n’avions plus à manger. Maintenant, nous respectons la forêt et nos champs commencent à nous donner de nouveau à manger », poursuit le paysan. Tous les vendredis, les quinze membres de son groupe se retrouvent chez lui. Suivant la saison et les impératifs, ils partent en forêt récolter des graines et des pousses d’arbres, ou bien les mettent en pots et irriguent la pépinière, baptisée Kianugu, et installée dans un recoin de sa propriété. « Ce sont surtout les femmes qui vont en forêt. Nous sommes capables de rapporter sur notre dos des quantités de graines bien plus grandes que les hommes ! », tient à préciser Flora Wangari, solide jeune femme de 35 ans.Le dos courbé dans son champ de carottes, Wambui, la femme du propriétaire, sort de terre les tubercules orange. « Depuis que nous travaillons avec le GBM, nos récoltes se sont aussi améliorées parce que nous avons appris de nouvelles méthodes de culture, notamment comment améliorer la qualité des sols, affirme-t-elle. Mais pour nourrir les six personnes de ma famille, nos terres restent insuffisantes. Alors, quand on nous verse l’argent de la plantation des arbres, ça nous aide aussi pour acheter de la nourriture au marché. »
Exploits des villageois
Comme 6 000 autres groupes au Kenya, la communauté de la pépinière Kianugu, touche en effet cinq shillings (environ 4 cents d’euro) par arbre replanté. « Il y a des conditions, précise Mercy Karunditu, chargée de projet pour l’association. Les arbres ne sont payés qu’après six mois de croissance et de surveillance en forêt par les membres de la pépinière. Sans cela, ils pourraient être mangés par du bétail et tout notre travail ne servirait à rien ! »« Reforester, c’est avant tout donner une valeur à l’arbre pour les populations locales », confirme Nicolas Métro, de Kinomé. En Haute-Casamance, au Sénégal, un des projets soutenus par cette entreprise ambitionne ainsi, en parallèle du reboisement, d’apprendre aux habitants à tirer profit de ces plantations. « En plus d’une forêt replantée, dont les services environnementaux ont été restaurés, nous installons un coin de plantations “ utiles ”, avec des eucalyptus, qui servent comme bois de feu, des manguiers, pour l’alimentation et le commerce, ou des jatrophas, pour un usage énergétique local, énumère-t-il. Cette combinaison permet d’éviter la déforestation et de redonner aux communautés locales leurs responsabilités sur un environnement qui reprend toute sa valeur. »
Autre impératif pour une reforestation fructueuse : que le nouveau massif s’intègre dans l’environnement naturel. Au Kenya, plutôt que de fournir directement des graines aux pépinières, des échantillons sont récoltés dans les forêts environnantes. « Cela nous permet de reboiser en respectant la composition en espèces indigènes. Les communautés locales savent quand les récolter, comment les faire pousser, et nous leur faisons confiance pour mettre en œuvre ces savoirs dans la reforestation », remarque Reuben Nduati, un des agents du GBM.
Afin d’apprécier les exploits qu’accomplissent les villageois pour ressusciter leurs bois, direction la forêt de South Kinangop, au sud des Aberdares. Après deux heures de marche, sur des chemins rincés par les pluies, une clairière replantée en 2006 apparaît enfin… piétinée par un éléphant ! « Avec la saison des pluies, les routes sont impraticables et les femmes parcourent tout ce chemin à pied, en portant les pousses sur leur dos. Elles en ont déjà amené 17 000 ici !, raconte Mercy Karunditu. Pour l’instant, elles n’ont utilisé qu’une seule espèce, qui n’est pas mangée par les éléphants. Quand la forêt sera plus vigoureuse, nous la compléterons avec les autres espèces. »
Des « forêts mortes »
Ce souci de respecter la structure originelle de l’endroit, essentiel, constitue pourtant le point faible de nombreux projets de reforestation. Leurs objectifs se révèlent alors plus économiques qu’écologiques et sociaux : les arbres sont replantés… pour être aussitôt coupés et vendus. Caractéristiques de ces « forêts » : des essences plantées en rang d’oignon, issues d’espèces à croissance rapide, comme les cyprès et les eucalyptus. Aucun gazouillement ou bruissement de feuilles ne s’y fait entendre. « Nous appelons ça des “ forêts mortes ” », grimace Mercy Karunditu en traversant une de ces anomalies environnementales qui jalonnent le pays. En 2007, une étude argento-américaine a évalué l’impact désastreux de ces monocultures. Elle s’est concentrée sur un site, en Argentine, où une culture d’eucalyptus jouxte un écosystème indigène de pampa. Verdict : victoire par K.-O. des eucalyptus. Avec leurs racines profondes et efficaces, ces arbres pompent près de la moitié des précipitations annuelles, entraînent une salinisation accrue des sols et finissent par mettre en danger l’écosystème traditionnel.En décembre 2009, l’ONG britannique REM révélait un autre coup bas : une société néerlandaise aurait carrément rasé une parcelle de forêt en Tanzanie pour y faire pousser des jatrophas. La plantation de ces arbustes producteurs d’agrocarburants pouvait en effet être financée par le marché européen de la compensation carbone ! Un autre leurre inquiète beaucoup les associations : le fait que certains pays, à l’instar de la Chine, reboisent massivement leurs forêts… pour mieux tailler ailleurs. Sur le continent africain par exemple !
Et mes 145 euros dans tout ça ? Une certitude : j’abandonne ma course à la séquestration de carbone et au certificat de compensation, qui n’a que peu d’intérêt pour un particulier. « Pour une entreprise, c’est différent, admet Nicolas Métro. Quand elle finance la plantation de millions d’arbres et qu’elle veut valoriser cette action par un certificat de compensation, on peut toujours mettre en marche une méthodologie, complexe mais existante, pour lui vendre des crédits carbone. » Reste, pour ma part, à trouver mon projet coup de cœur parmi tous ceux proposés par les opérateurs, au simple titre de la « reforestation utile aux communautés locales ». Et c’est déjà pas mal. —
Choisir votre projet de reforestation
1. « Le meilleur soutien que l’on peut apporter aux forêts, c’est avant tout commencer par réduire ses propres émissions », rappelle Nicolas Métro, de Kinomé.2. Connaître les opérateurs qui ont signé la charte de bonnes pratiques de l’Ademe.
3. Pour faire le point sur ses émissions de CO2, on peut utiliser le calculateur d’Action carbone.
4. Vous voulez planter sans prise de tête ? Voici Reforest’action. 1,5 euro l’arbre, à planter soi-même via une plateforme interactive qui explique le fonctionnement du village sénégalais qui en bénéficiera !
5. Vous souhaitez voir votre arbre grandir ? Cœur de forêt vous donne ses coordonnées GPS, au Cameroun ou à Madagascar. Vous plantez et participez à la mise en place d’un jardin botanique, à la valorisation des produits de la forêt, à la formation des communautés locales, à la préservation de la biodiversité et à la mise en œuvre d’un four solaire.
6. La rubrique Alternative carbone d’Action carbone propose de soutenir un projet de reforestation aux bénéfices des Mapuches du Chili, en partenariat avec ONF International. Pas de certificat carbone à la clé mais une estimation du stockage de carbone : 58 tonnes pour 145 hectares plantés.
7. Vous tenez à votre certif ? Cœur de forêt propose des kits de 15 à 300 euros, correspondant à une séquestration de 1 000 à 20 000 kg. Les arbres sont plantés en Amazonie péruvienne, dans le cadre d’un projet d’agroforesterie.
Comment l’arbre assure la clim de la planète
Mais comment les forêts pourraient bien mettre le holà au réchauffement climatique ? Explication : les arbres fonctionnent par photosynthèse. En utilisant l’énergie lumineuse, ils consomment du dioxyde de carbone, le CO2, et rejettent du dioxygène, l’O2. Ils sont ainsi capables d’extraire le carbone du CO2 et de le stocker, réduisant la concentration toujours plus grande de CO2 atmosphérique grâce à cette « respiration inversée ». D’où leur étiquette de « puits de carbone ».Arbres, forêts, déforestation et reforestation en chiffres (1)
31 % de la superficie des terres de la planète sont occupés par les forêts. Un peu plus de 4 milliards d’hectares, c’est la superficie forestière totale. Les 5 pays les mieux dotés en forêts possèdent plus de la moitié de superficie forestière (Russie, Brésil, Canada, Etats-Unis et Chine).Environ 13 millions d’hectares de forêts ont disparu durant la décennie 2000-2010.
16 millions d’hectares par an étaient touchés par ce phénomène dans les années 1990.
Plus de 7 millions d’hectares de nouvelles forêts ont été plantés chaque année ces dernières années.
5,2 millions d’hectares par an, c’est la perte nette de superficie forestière sur la période 2000-2010, une superficie qui correspond à peu près à celle du Costa Rica.
Cette perte s’élevait à 8,3 millions d’hectares par an pour la période 1990–2000.
(1) Chiffres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, datant de mars 2010.
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