La récente suspension des forages offshore de Shell au large de la Guyane par le nouveau gouvernement est une bonne nouvelle pour plusieurs raisons. Accordé en 2001, ce permis de recherche avait été prolongé à trois reprises jusqu’à la découverte d’hydrocarbures en septembre 2011, annonce qui avait accéléré la campagne de prospection du pétrolier qui espérait réaliser quatre forages supplémentaires et des études sismiques dès l’été 2012. Ce revirement de situation est extrêmement satisfaisant car il se conforme au principe de précaution d’autant plus nécessaire dans ce secteur à risques. Mais cette suspension est surtout indispensable au regard de l’obsolescence du cadre législatif français et de la future législation européenne en la matière.
Ce revirement de situation n’est en réalité qu’une légitime correction politique. En effet, malgré l’arrêt du projet d’exploration pétrolière offshore « Rhône Maritime » en Méditerranée en avril dernier par le gouvernement, aucune attention n’avait été portée sur l’outre-mer. Or, le forage de Shell en Guyane présente des zones d’ombres inquiétantes : manquements aux études d’impacts environnementaux, faiblesse du dispositif de lutte contre les pollutions ou encore absence de consultation des parties prenantes et du public. A la différence de la Méditerranée, le forage en Guyane est aussi beaucoup plus risqué (6 000 mètres de profondeur) à la fois d’un point de vue technologique et environnemental puisqu’on imagine facilement l’impact catastrophique d’une marée noire sur la faune et flore et les activités côtières guyanaises. La suspension de permis de Shell est donc une décision justifiée qui rectifie le traitement de faveur accordé aux côtes de Provence et met en cohérence la politique française.
La France, plus offensive sur la scène européenne ?
Mais cette décision de la ministre de l’Ecologie Nicole Bricq résonne également au niveau européen, puisqu’elle coïncide avec les discussions à Bruxelles sur la nouvelle législation communautaire. Ces nouvelles règles voulues par l’Union européenne répondent directement à l’accident de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010. Ce désastre avait permis d’identifier les lacunes du cadre règlementaire européen, jugé fragmenté et inégal laissant les risques d’accident majeur à un niveau « significativement haut ».Seulement, jusqu’ici la France n’a joué qu’un rôle secondaire dans les négociations, restant silencieuse devant les attaques de certains pays et de l’industrie contre cette nouvelle règlementation plus contraignante. Les organisations représentant la société civile espèrent voir dans la volonté de « remise à plat des permis » du ministère, une occasion de renforcer l’ambition française dans les débats. Nicole Bricq doit se montrer tout aussi volontariste pour renforcer l’intégration rigoureuse des problématiques environnementales au niveau européen et garantir le respect de normes exigeantes de sécurité par les exploitants européens.
Pourquoi vouloir à tout prix exploiter ces ressources pétrolières incertaines ?
Cependant, le gouvernement ne doit pas en rester là. Cette suspension doit mener à une réflexion autour des forages pétroliers offshore en France. En plus d’être dangereux et polluants, ils entrent en contradiction directe avec la « transition énergétique » si chère à ce nouveau gouvernement. Alors pourquoi vouloir à tout prix exploiter ces ressources pétrolières incertaines, dans des conditions parfois extrêmes, quand nous savons pertinemment qu’il nous faut sortir de notre dépendance à ce même pétrole ? Continuer à développer l’exploration pétrolière offshore est une aberration environnementale qui exacerbe encore plus le problème du changement climatique.Nos décideurs politiques doivent faire preuve de courage pour défendre l’intérêt général, surtout face à une industrie multimilliardaire prête à tout pour défendre son activité et sa survie. C’est donc un choix de société que nous pouvons faire. Quelle est l’acceptabilité sociale des forages offshore aujourd’hui ? Leurs avantages sont-ils supérieurs aux risques encourus en termes de santé publique, de qualité de l’environnement et plus généralement de bien-être ? Je ne pense sincèrement pas que le jeu en vaut la chandelle. Car l’urgence est bel et bien de tourner notre société vers un futur économique et énergétique plus propre et durable. Ceci passe certainement par le développement des énergies renouvelables, des économies d’énergies et le changement de nos modes de consommation, mais certainement pas par l’obstination à vouloir extraire les dernières gouttes de pétrole existantes.
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