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28-09-2011
Mots clés
Energies
France
Exclusif

Areva vs Greenpeace : quelle sécurité énergétique pour la France ?

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Areva vs Greenpeace : quelle sécurité énergétique pour la France ?
 
Faut-il sortir du nucléaire, et si oui partiellement ou totalement ? Qui de l'emploi ? Du coût ? Face à face exclusif entre Laurent Corbier directeur du développement durable d'Areva et Pascal Husting, directeur général de Greenpeace France.
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ÉCOLOGIE SOCIÉTÉ ÉCONOMIE
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Terra Eco : Six mois après Fukushima, quel est l’état de la filière nucléaire ?

Laurent Corbier : Six mois, c’est court pour analyser les conséquences, même si les acteurs de la filière savent que rien ne sera plus comme avant. Une évaluation technique est à l’œuvre. Des « stress tests » ont été remis à l’Autorité de sureté nucléaire [ASN, ndlr] le 15 septembre. Mais il y a une réflexion plus globale sur l’évolution du secteur et ses perspectives.

L’avenir est-il avec ou sans nucléaire, avec ou sans transparence ?

LC – Sur le point de la transparence, je n’ai jamais entendu la question posée en ces termes. Il n’est pas question de faire les choses sans transparence, même si elle peut être renforcée selon les pays et les opérateurs. « Avec ou sans nucléaire », c’est une question de mix énergétique, d’emplois, de choix de société. Il n’y a pas qu’un angle sur cette question et il faut les traiter tous.

Pascal Husting : Je suis tout à fait d’accord sur la multitude des angles d’attaque. Fukushima a re-déclenché des questions sur l’acceptabilité, même si cet accident ne permet pas encore d’apporter les réponses à d’autres questions qui sont là depuis un moment : les impacts économiques et sociaux et le manque de démocratie derrière le choix du tout nucléaire.

La France est encerclée par des pays qui ont décidé de ne pas renouveler leurs centrales ou sortent du nucléaire : l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne, l’Italie. Seule la Belgique n’a pas pris de décision. Un nouveau contexte politique émerge en Europe. La question est de savoir comment la France se comportera vis-à-vis d’Etats souverains, qui ont fait le choix inverse au sien.

L’autre signal, c’est le groupe Siemens qui sort du nucléaire et se lance dans les renouvelables, notamment l’éolien. la décision de faire de la France le pays du tout nucléaire a été politique et les acteurs économiques ont suivi. Nous sommes convaincus que l’on peut renverser les choses. Les perspectives d’un groupe comme Areva sont d’ailleurs très bonnes, même dans un scénario de sortie du nucléaire. Il faudra bien gérer le démantèlement des centrales et les déchets...

Enfin, il y a des conséquences à tirer sur l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Au Japon, sur une cinquantaine de centrales, seules sept sont en opération. Pourtant la lumière ne s’est pas éteinte à Tokyo. En quelques mois les Japonais ont réalisé des gains d’efficacité et de sobriété de 26%.

Ils ont tout de même été contraints à cette situation...

PH – Oui, mais cela prouve que c’est possible. Pendant ce temps, en France, le président de la République nous dit que c’est soit le nucléaire, soit la bougie. Le Japon montre que ce n’est ni la bougie, ni le nucléaire.

LC – Sur le Japon, je trouve que vous faites des raccourcis saisissants sur la situation, alors que la production industrielle souffre beaucoup de la situation électrique. En ce qui concerne Siemens, voir qu’un grand acteur allemand se range derrière une politique allemande, ça ne me choque pas outre mesure. Enfin, en Europe, un certain nombre de pays n’ont pas pris de décision négative sur le nucléaire. Je pense notamment au Royaume Uni, à la Pologne, à l’Europe du Nord.

PH – Il reste que, pour la première fois en France depuis quarante ans, le consensus est remis en question. La gauche s’interroge et va parfois très loin, comme lorsque Ségolène Royal déclare vouloir arrêter l’EPR de Flamanville. Il faudra voir comment cette position déclarative se transforme en programme politique.

Est-ce qu’Areva travaille sur cette hypothèse d’une sortie du nucléaire ?

LC – Nous n’en sommes pas là. 80% de notre chiffre d’affaires se fait sur les réacteurs qui tournent.

Pourtant, n’auriez-vous pas un rôle à jouer dans un tel scénario ? Pourquoi ne pas l’étudier ?

LC – Parce que ça n’est pas une perspective à court ou moyen terme. On fait des plans stratégiques sur 5, 10, 20 ans. Mais nous n’envisageons pas ce scénario-là.

PH – J’ai du mal à croire que, dans une projection sur 20 ans, vous n’envisagiez pas l’hypothèse d’une sortie du nucléaire. Vos affaires ne vont pas bien, vous ne vendez plus de MOX, vous n’avez plus de contrat de retraitement à part celui d’EDF, vous avez peu de commandes fermes de centrales, il n’y a plus que l’uranium… Si j’étais vous, je me poserais la question du développement de nouveaux savoir-faire, notamment sur le démantèlement. J’ai du mal à croire que vous attendiez passivement, sans anticiper une décision politique qui pourrait arriver dans six mois avec l’élection présidentielle.

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Laurent Corbier - Areva

LC – Nous sommes attentifs à la situation, mais il faut avoir une réflexion large. Les fondamentaux de la situation énergétique sont là. La demande va croître dans les décennies qui viennent, l’urbanisation entraîne des besoins d’électricité de masse, les émissions de CO2 sont en hausse, le changement climatique a des conséquences dramatiques sur les populations… La demande énergétique va avoir lieu dans les pays émergents. Compte tenu de ces besoins en énergie, on ne peut pas se contenter de tirer un trait sur une filière.

Que représente cette filière en termes d’emplois en France ?

LC – 125.000 emplois directs, 400.000 emplois indirects. Ce sont les chiffres de PriceWaterhouse Coopers. C’est l’équivalent du secteur aéronautique.

PH – En comparaison, les chiffres de l’Etat allemand sur le renouvelable, ce sont 280.000 emplois et, d’ici à 2020, 400.000 à 500.000 emplois directs.

LC – Vous avez raison de citer ces chiffres. Mais est-ce que ça peut remplacer totalement la production nucléaire qu’on abandonne ? Aujourd’hui l’Allemagne est dans une situation où soit elle importe plus d’électricité de ses voisins, soit elle a recourt aux énergies fossiles pendant une phase de transition plus ou moins longue.

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Pascal Husting - Greenpeace

PH – Il y a une désinformation énorme dans la presse française et anglo-saxonne sur la situation. Oui, l’Allemagne a importé plus d’électricité à partir du 7 avril, quand les centrales ont été arrêtées, mais elle reste un exportateur net selon le bilan fin juin. Le temps de déploiement des alternatives va prendre quelques années. On ne peut pas lui demander de faire des miracles. Mais Angela Merkel a réaffirmé le maintien des objectifs de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre, d’ici à 2020. Les Allemands ne remettront pas en cause leurs engagements sur la protection du climat, qui est aussi importante pour l’opinion publique que la question du nucléaire.

Pascal Husting, l’équation climatique est très difficile à résoudre. Répondre à la demande énergétique sans nucléaire et sans mettre en danger le climat est-il réaliste ?

PH – Les chiffres parlent d’eux mêmes, le nucléaire c’est 3 à 4% de l’énergie finale produite dans le monde. Il existe un scénario du « tout nucléaire », développé par l’Agence internationale de l’énergie. Celui-ci, qui n’est qu’une hypothèse, montre qu’avec 1500 centrales en 2050, la question climatique ne serait résolue qu’à la marge avec des « économies » de gaz à effet de serre de 6 à 8%. Ce qu’il faut c’est réinventer le paysage énergétique et les maîtres-mots sont : déconcentration, décentralisation, proximité, réseaux intelligents. Bien sûr, aujourd’hui nous avons un problème d’intermittence des énergies renouvelables mais celles-ci sont très mal connectées au réseau. Et nous manquons d’une stratégie européenne : les politiques de l’énergie sont complètement souverainistes. Il nous faudrait un nouvel accord fondateur du type de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).

LC – Premièrement, une précision : jamais il n’a été question pour nous, même dans nos estimations les plus optimistes, d’implanter des réacteurs nucléaires partout dans le monde. On n’a jamais prétendu que tous les pays étaient égaux en termes d’infrastructures physiques et technologiques. Deuxièmement, dans vos chiffres, vous oubliez un facteur important : le confort des sociétés tel qu’on le conçoit aujourd’hui est associé à une utilisation croissante de l’électricité. Il va donc y avoir, dans la croissance importante de la demande d’énergie, et notamment de la part des pays émergents, une croissance encore plus forte de la demande d’électricité. Or aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de technologies pour produire de l’électricité en masse, par exemple pour de grandes villes.

PH – Aujourd’hui en 2011, c’est vrai. Mais en 2020...

Sur le long terme, la question des déchets, qui est le talon d’Achille de la filière nucléaire, n’est-elle pas un sérieux handicap à sa durabilité ?

LC – Cette question n’est pas nouvelle. S’agissant des déchets générés par nos activités, notre rôle est de proposer des solutions pour emballer les déchets et les entreposer de façon sûre, dans de petits volumes et à des endroits prévus à cet effet.

Au-delà de la technique, c’est sur l’acceptabilité sociale qu’il y a problème. L’Andra, chargée de la gestion des déchets nucléaires, est confrontée à une opposition très forte des riverains, lorsqu’elle prospecte pour créer des centres de stockage.

LC – Oui et sur ce point, il faut absolument progresser. On revient au débat de société, qui concerne l’ensemble de la filière. Il faut une discussion qui implique le public. Il faut qu’il y ait une prise en compte des attentes, des peurs, des angoisses, et que tout cela soit expliqué de façon beaucoup plus pédagogique. Cette question doit être traitée comme un tout et non par « petits bouts ».

PH – Cette question des déchets, on ne peut l’aborder en termes d’emballages. Il y a tout de même une dimension historique et éthique que l’on ne peut nier : leur durée de vie s’étale sur des temps extrêmement longs. Et l’on réalise que c’est en fait la décision de quelques-uns, de deux ou trois générations qui profiteront de l’énergie nucléaire, au détriment éventuel des conditions de vie des générations futures. L’idée même que les archéologues du futur, au lieu de découvrir la beauté de la vallée des Rois ou des ruines de Troie, tomberont un jour sur la matière la plus toxique que l’humanité ait jamais créée, me dérange profondément. Qui sait ce qu’il y aura comme régime politique autour de Bure dans mille ans ?

LC – Nous sommes d’accord, mais vous revenez à chaque fois à un choix de société. Aujourd’hui s’il y a une problématique globale qui est posée sur le mode « que peut-on faire qui n’impacte pas les générations futures », c’est philosophiquement intéressant, mais cela concerne l’ensemble des activités humaines. C’est le cas, par exemple, de la déforestation. Mais ces questions, même si nous les comprenons, ne sont pas du seul ressort d’un exploitant industriel.

Seriez-vous favorable en France à un référendum sur la question du nucléaire ?

LC – Ce n’est pas ma responsabilité de dire ce qu’il faut que les responsables politiques organisent ou pas. La campagne présidentielle qui s’ouvre fait monter de facto des discussions sur le sujet. Mais aujourd’hui, je ne me prononce pas pour ou contre un référendum.

PH – Sur ce point on est absolument en phase. Le référendum, ce n’est pas le moment. On a une échéance démocratique devant nous. L’enjeu est de créer un moment citoyen, où des électeurs demanderont des prises de position claires de la part des candidats aux présidentielles. Cette échéance démocratique débouchera éventuellement sur un travail participatif pour redessiner le modèle énergétique de la France, avec peut-être à la clé un référendum. Mais il ne faut surtout pas permettre aux candidats d’échapper à leurs responsabilités en faisant miroiter un référendum.

Entretien réalisé lors des Ateliers de la Terre

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