C’est parti : alors que l’Alaska et la Norvège crachent déjà le pétrole, le Groenland et la Russie ont déjà ouvert leurs eaux à la prospection, ou s’apprêtent à le faire. Exploiter du pétrole et du gaz dans l’Arctique est-il un danger pour son environnement exceptionnel, déjà bouleversé par le changement climatique ? Que se passerait-il si un accident survenait ? Pour les représentants des associations écologiques, la réponse ne fait aucun doute : « ce serait un désastre écologique », crient-ils haut et fort.
Une histoire déjà tâchée de brut
Devant les milliards d’euros sonnants et trébuchants que promettent ces gisements potentiels, les lanceurs d’alerte ne seraient-ils que de méchants rabat-joies ? L’histoire est pourtant là pour leur donner raison. Rappelez-vous 1989, année souillée par les tâches du brut de l’Exxon Valdez, un pétrolier américain à l’origine de l’une des pires catastrophes maritimes. Après qu’il s’est échoué au large de l’Alaska, 40 000 tonnes de pétrole se sont répandues dans les eaux, salissant près de 2 000 kilomètres de côtes.
Les dégâts ne se sont pas fait attendre : englués dans la matière noire et puante, 2 000 loutres de mer, 302 phoques et plus de 250 000 oiseaux de mer ont été tués immédiatement. Vingt-deux ans plus tard, l’environnement a-t-il digéré l’addition ? « On voit encore les conséquences sur la faune et la flore », constate Anne Valette, chargée de campagne « Energie » pour Greenpeace France. « Des poches de pétrole sont toujours présentes, les populations de loutres ne se sont toujours pas reconstituées, la survie des orques épaulards est toujours compromise... »
La mésaventure n’a pas donné la nausée aux exploitants : en mars 2006, quelque 1 000 m3 de brut ont encrassé la blanche neige de l’Alaska, s’écoulant d’un pipeline complètement corrodé en provenance de la station de Prudhoe Bay, exploitée par BP et ses partenaires. Et en mai 2010, la plateforme norvégienne de Gullfaks C (Statoil) a été évacuée, après la découverte de fuites de gaz.
Un environnement ultra-sensible
Un accident dans cette région est d’autant plus dramatique que l’environnement y est fragile. Une espèce qui disparaît et c’est toute la chaîne alimentaire dans laquelle elle s’inscrit qui peut passer l’arme à gauche. D’où la complexité à évaluer les possibles impacts de dégâts industriels dans cette zone : ce n’est pas l’écosystème autour des concessions qu’il faut prendre en compte, mais celui de la région dans son ensemble. « Si un accident se produisait, c’est un manteau noir qui serait déposé sur Terre là où il y des fenêtres blanches. L’albedo [ndlr : la quantité d’énergie réfléchie par la surface terrestre par rapport à celle la frappant] diminuerait et cela aurait des répercussions énormes au niveau climatique » , affirme Jean-Claude Gascard, océanographe au laboartoire LOCEAN et coordinateur du projet Access (Arctic Climate Change, Economy and Society).
En plus, on imagine mal comment seraient menées des missions de dépollution dans ces zones hostiles. « Tout est plus dangereux dans ces régions. Hormis pendant les périodes estivales qui courent d’avril à octobre, elles sont prises sous les glaces, et le pétrole pourrait alors rester coincé de nombreux mois sous les glaces, sans aucune possibilité de le récupérer. Ce genre de situation pourrait s’éterniser », s’inquiète Anne Valette. Cairn Energy, un petit exploitant britannique prospectant au Groenland, a longtemps refusé de publier ses plans d’intervention. Mais la province autonome danoise, sous la pression des environnementalistes et des populations locales, a décidé de le faire pour lui. C’était en août dernier.
Faire fondre les icebergs souillés par le pétrole
Ainsi, pour rendre la glace blanche comme neige après un accident, la compagnie entend... découper les blocs de glace entâchés d’huile et les faire fondre dans des entrepôts ! Autre idée saugrenue : déplacer les icebergs menaçant les plateformes offshore ! Ah oui, vraiment ? Cairn Energy devrait alors sortir les mégawatts pour pousser de tels mastodontes. En 2010, par exemple, c’est un bloc de glace quatre fois plus grand que Manhattan qui s’est détaché au nord du Groenland.
L’exploitant reconnaît lui-même toute l’ampleur du problème posé par un éventuel accident : les narvals, les macareux et les pingouins locaux en prendraient un sacré coup dans l’aile. Les moyens habituels de récupération et de circonscription du pétrole (barrages flottants, dispersants,...) ne fonctionneraient que très mal dans les eaux parsemées de blocs de glace. Et ceux-ci pourraient traîner des résidus de brut sur des kilomètres... « Il faut tout faire pour qu’un accident ne se produise pas en Arctique. C’est déjà triste ailleurs, mais là ce serait encore pire. Il n’y a aucune chance d’intervenir. On a dépassé le simple principe de précaution : il y a des précautions à prendre, c’est tout. Si lorsqu’on fait un trou, on se sait pas gérer ce qui se passe après, on ne le fait pas », explique Jean-Claude Gascard. Sans compter que sans parler d’accident, on ne se sait toujours pas que faire des déchets produits sur les plateformes : que doit-on faire de ces boues, les traiter, les remettre dans les trous de forages ? Et sait-on le faire ?
Des exploitants au-dessus des protestations ?
Les environnementalistes ne sont pas les seuls à demander plus de précautions, voire l’interdiction de l’exploitation en Arctique. En 2008, le Parlement européen appelait les nations arctiques à prêter plus d’attention aux opérations des compagnies pétrolières dans la région. Et début 2011, il appelait l’Organisation maritime internationale à interdire la navigation de bateaux transportant du pétrole lourd dans les eaux arctiques. Même l’Inspection norvégienne du pétrole a, dans un rapport, accablé Statoil après les fuites de gaz apparu sur sa plateforme Gullfaks C en 2010.
Ces cris d’alerte peuvent-ils faire bouger les choses ? Pour le Capitaine Paul Watson, fondateur de l’association Sea Shepherd, il y a peu de chances. « Les compagnies pétrolières ne s’arrêteront pas tant qu’elles n’auront pas exploré chaque centimètre de notre planète et tant qu’elles n’auront pas puisé jusqu’au dernier litre », prédit-il. « Pour être honnête, je ne pense pas que les ONG seront capables d’arrêter ça. »
Pour nombre de ces organisations, exploiter ces zones est non seulement une aberration environnementale mais aussi politique. « Pour rester en deçà de l’augmentation de température de 2°C, il ne faudra pas brûler d’ici 2050 plus du quart des réserves connues de ressources fossiles. Et là les compagnies ouvrent les portes aux exploitations non-conventionnelles, comme le offshore en Arctique ! », explique Anne Valette. L’aberration est d’autant plus grande qu’au début du mois, Cairn Energy, qui conduit l’un des plus gros programmes d’exploration au Groenland... revenait de nouveau bredouille des nouveaux forages qu’il a conduits.
A lire aussi sur ce terraeco.net : L’article, nouvel eldorado de l’or noir
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions