Qualité, proximité et pied de nez à l’industrie agroalimentaire : d’un système de distribution en circuit court à l’autre, les mots d’ordre se font écho. Pourtant, depuis la diffusion, en mars dernier sur Internet, d’une lettre dans laquelle un apiculteur explique son refus d’approvisionner la Ruche qui dit oui, les partisans de la vie sans supermarché sont divisés. Entre ripostes, rumeurs et amalgames, la saveur retrouvée des produits fermiers a pris un arrière-goût amer. Les Amapiens brocardent l’aspect « commercial » de la Ruche qui dit oui. La start-up se défend en jouant la transparence. Certains de ses adeptes, pointent quant à eux le côté « contraignant » des Amap. Après des mois d’invectives sur les blogs et réseaux sociaux, par endroit, comme à Saint-Nazaire à la fin du mois de novembre, le débat se poursuit de vive voix. Exaspérés par cette guerre larvée, Léo Coutellec, porte-parole de Miramap, le réseau national des Amap et Guilhem Chéron, cofondateur de la Ruche qui dit oui rappellent, dans deux entretiens distincts, la singularité de leurs systèmes. Faites votre choix.
En deux mots, pouvez-vous rappeler le principe de votre système ?
Léo Coutellec : Les Amap sont des Associations de maintien de l’agriculture paysanne. Ces mots ont un sens. Nous ne sommes pas uniquement un débouché, mais un système de soutien à un modèle agricole. Ce soutien se matérialise par un contrat et des paniers, distribués chaque semaine. Leur contenu dépend des récoltes. Si la météo fait des siennes, qu’une bâche s’envole ou que l’agriculteur loupe ses carottes, les adhérents le comprennent. Pour ne pas nous écarter de notre mission, nous ne travaillons qu’avec des paysans, pas des artisans. C’est pourquoi nous ne distribuons que des produits frais, non transformés.
Guilhem Chéron : La Ruche qui dit oui est un système de vente directe qui s’organise via Internet. Les membres d’une ruche commandent en ligne. Il choisissent parmi un large panel qui peut aller jusqu’à 450 produits fermiers et artisanaux par ruche. Si les commandes sont assez conséquentes, les producteurs organisent une livraison, parfois en covoiturant. Les acheteurs vont ensuite récupérer leurs victuailles dans la ruche, c’est-à-dire chez un particulier ou dans une structure qui tire un complément de revenu de cette activité.
Chez vous, on dit plutôt « clients », « consommateurs responsables » ou « militants » ?
Léo Coutellec : Certainement pas « clients » ! « Consomm’acteurs » ne convient pas non plus. Le principe même de l’Amap, c’est de sortir du système marchand. Adhérer à une Amap ne revient pas à acheter un produit ou un panier, mais à financer la prochaine récolte, à soutenir les paysans. On participe bénévolement à la distribution des produits, à la fixation des prix et au suivi des engagements pris par les producteurs. Parce qu’on va bien au delà de l’acte d’achat, on parle de « coproducteurs ».
Guilhem Chéron : A la Ruche qui dit oui, on parle de « consommateurs responsables », qui ne se satisfont pas des produits de supermarché et qui veulent s’émanciper du modèle agro-industriel. On est plus proches du marché de producteurs que des Amap. On touche une population plus large, moins informée. On prend la société telle qu’elle est et on essaie d’avancer avec le plus de monde possible. Une ruche, du fait des rencontres et des échanges qu’elle provoque, est un formidable lieu de prise de conscience. Pour certains, ça peut-être un premier pas vers les Amap.
Quel degré d’engagement votre système demande-t-il ?
Léo Coutellec : Dans les Amap, l’engagement est central. A nos yeux, ce n’est pas une contrainte, mais une richesse. Dans le système classique nous sommes enfermés dans un rôle de consommateur, on nous impose des filtres. Au contraire, l’Amap place ses membres dans un rapport direct avec le paysan, dans une relation de collaboration. Adhérer à une Amap, c’est l’aboutissement d’un raisonnement politique et c’est un bon moyen d’acquérir une compréhension plus fine de ce qu’est l’agriculture aujourd’hui. (Lire le témoignage d’une famille toulousaine ici)
Guilhem Chéron : On est plus proches des habitudes de consommation des gens. Ils gardent la liberté de choisir les produits qui leur font envie et la fréquence de leurs achats. C’est un mode de fonctionnement assez pragmatique, qui prend en compte les contraintes de temps d’une famille. Internet peut susciter de la méfiance, car on l’associe à une forme d’hystérie consumériste. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Notre plateforme est avant tout un outil qui permet de rendre les échanges plus fluides et de toucher le plus de monde possible.
Qu’exigez-vous de vos produits ?
Léo Coutellec : Qu’ils soient cultivés sans engrais, sans pesticides, sans OGM et dans le respect du bien-être animal. Nous ne réclamons pas de certification, car notre charte va plus loin. Au delà de la qualité des produits, on s’attache à ce que les fermes soient viables économiquement et justes socialement. L’idée, ce n’est pas que l’agriculteur produise bio en travaillant quatre-vingts heures par semaine. On n’exige pas que nos objectifs soient atteints immédiatement, mais que chaque producteur tende vers l’agroécologie. Nous avons donc mis en place un système d’amélioration participative. Tous les ans ou tous les deux ans, les fermes reçoivent la visite des membres de l’Amap, qui évaluent les pratiques et font signer au producteur un contrat d’objectifs.
Guilhem Chéron : La qualité. On propose des bons produits, c’est la base du concept. Hors de question d’accepter ceux issus de monocultures ou de cultures hors-sol. 51% de nos produits sont issus de l’agriculture biologique, et, à l’échelle nationale, les produits parcourent en moyenne 43 kilomètres entre le producteur et le consommateur. On tend vers l’agroécologie, mais, pour l’instant, on se conçoit plus comme un support de transition. C’est pourquoi nos exigences varient selon les filières, en fonction des contraintes propres à chacune. On cherche l’équilibre entre une offre diversifiée dans chaque ruche et des conditions de productions satisfaisantes.
Quel est votre mode d’organisation ? Comment fixez-vous les prix ?
Léo Coutellec : Les Amap sont, comme leur nom l’indique, des associations, formelles ou informelles, au sein desquelles tout le monde est bénévole. Paysans et Amapiens se rencontrent toutes les semaines lors des distributions et se réunissent une fois par an en assemblée générale. Les prix sont fixés par toutes les parties au cours de ces discussions. L’intégralité du prix revient au producteur.
Guilhem Chéron : Nous sommes une entreprise. Le mot suscite certaines craintes et je le comprends. Mais nous assumons ce modèle. Nous avons l’agrément « entreprise de l’économie sociale et solidaire », qui implique des engagements. Par exemple, l’écart de salaires est limité à une échelle de un à trois, et nous sommes motivés par d’autres objectifs que la recherche de profit. L’entreprise est aussi un outil social. Nous employons 50 personnes en CDI, sans compter les quelque 600 responsables de ruches qui tirent de cette activité un revenu. La question des prix ne nous regarde pas, ils sont décidés par le producteur et lui seul. Sur ce prix, une commission de 16,7% est prélevée, puis partagée équitablement entre l’entreprise et le responsable de ruche.
Peut-on parler de vente directe ?
Léo Coutellec : Oui. Chaque semaine, les paysans sont présents aux distributions. Mais il ne sont pas dans une démarche de vente. Tous les chèques ont été déposés au début de l’année – ils sont encaissés progressivement –, les questions d’argent sont donc écartées. Le moment est alors entièrement consacré à l’échange autour des produits et des pratiques.
Guilhem Chéron : Oui. On nous reproche de fonctionner avec des intermédiaires : c’est faux. Un intermédiaire classique va chercher à faire baisser le prix de revient d’un côté, et à augmenter le prix de vente de l’autre. Pour nous, c’est tout le contraire. Ni l’entreprise ni les responsables de ruche ne sont dans cet état d’esprit. Les agriculteurs ne sont pas forcément présents lors des distributions, mais c’est aussi un moyen de les soulager pour qu’ils puissent se concentrer sur leur activité.
Souhaitez-vous changer d’échelle ?
Léo Coutellec : C’est une question piège. Nous ne voulons pas grossir au détriment de nos engagements. Il n’est pas question d’assouplir notre charte. Le problème, c’est que, malgré l’installation de centaines de fermes via le réseau Amap, l’activité paysanne en France reste aujourd’hui limitée. Dans certaines régions, comme l’Ile-de-France, l’approvisionnement est compliqué. Si grossir implique de faire de la monoculture en bio, nous auront tout perdu. Au changement d’échelle, nous préférons la dissémination positive. Il existe déjà 2 500 Amap avec 60 paniers distribués dans chacune d’entre elles. Nos adhérents se comptent donc en centaines de milliers. Dans certains villes, comme à Villeurbanne (Rhône) ou à Marseille, 1% de la population est membre d’une Amap, c’est déjà beaucoup. Les Amap, ce n’est pas une mode, c’est une lame de fond.
Guilhem Chéron : Bien sûr. Nous voulons changer de système. Nous avons déjà permis l’a création de 300 emplois chez les exploitants et artisans. Chaque jour, nous comptons 1 500 nouveaux inscrits et nous voulons que ça continue. Si nous devions afficher un objectif à long terme, ce serait 100% ! Je ne plaisante qu’à moitié, car le modèle d’agriculture que nous soutenons est celui qui doit s’imposer. Si nous voulons concurrencer la grande distribution, largement responsable du marasme dans lequel se trouve le monde agricole, nous n’avons pas le choix, nous devons être aussi efficaces qu’elle. C’est pourquoi nous misons sur l’entrepreneuriat.
Et vous ? Plutôt Amap, Ruche qui dit oui ou partisan d’un système différent ? Expliquez-nous pourquoi dans les commentaires ci-dessous.
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