En novembre 2010, Pierre Priolet, agriculteur du Vaucluse a arraché lui-même les 13 hectares d’arbres fruitiers de son exploitation de poires et de pommes. Par cette autodestruction, il souhaitait dénoncer la spoliation que subissent les exploitants agricoles soumis aux prix non négociables de la grande distribution. Depuis, il multiplie les appels au secours, sur les plateaux télé ou dans son livre Les fruits de ma colère.
Il poursuit aujourd’hui son combat avec sa marche des doléances jusqu’à Paris. Parti à pied de son village de Mollégès (Bouches-du-Rhône) le 12 janvier, il recueille sur son chemin la parole des Français en leur posant une question : « Que voudriez-vous dire aux dirigeants ? » Son objectif : apporter ces doléances à l’Assemblée nationale le 21 février prochain.
Terra eco : Comment avez-vous eu l’idée de cette marche des doléances ?
Pierre Priolet : J’ai engagé un combat en 2010 pour parler d’un problème grave : en France, des gens ont faim et ceux qui produisent la nourriture ne s’en sortent plus. C’est un problème essentiel, que les Français vivent au quotidien. Or, la campagne présidentielle a débuté depuis plusieurs mois et personne n’en parle. Je suis très attristé par cette aberration. J’étais dans cette réflexion lorsque j’ai visité, par hasard, le mémorial de la Marseillaise à Marseille. En entrant dans une salle, je suis tombé sur un personnage représenté se demandant : « Est-il normal de mourir de faim en nourrissant la population ». Et là je me suis dit que, sur la question de l’alimentation, nous sommes dans la même situation qu’en 1789 et qu’il me fallait monter à Paris pour le dire. Moi qui n’aime pas marcher, je me suis forcer la main en décidant d’y aller à pied, pour rencontrer des gens sur mon chemin.Où en êtes-vous dans ce parcours ?
Je marche 30 kilomètres par jour et je traverse actuellement le Morvan, où il a fait - 8°C aujourd’hui. Chaque soir, je suis hébergé par des habitants avec qui je discute. Je recueille les témoignages dans des vidéos que je diffuse chaque soir sur notre site internet ou dans mon cahier de doléance. J’ai envoyé un mail avant mon départ aux maires des communes que je traverse pour leur donner rendez-vous et déjeuner avec moi à la mi-journée. Pour l’instant, tous m’ont reçu et ont signé mon cahier, même Gérard Collomb le maire de Lyon. Le député-maire de Vienne, Jacques Remiller, m’a, lui, convié à l’Assemblée nationale le 21 février, en sa qualité de président du groupe de travail sur les fruits et légumes. Je m’y rendrai avec un éleveur, un vigneron, un céréalier et un maraîcher pour présenter les doléances. Mon but est de dire aux dirigeants, quels qu’ils soient, taisez-vous un peu et écoutez-nous.Quels sont les témoignages qui vous marquent aujourd’hui ?
Ce qui ressort d’abord, ce sont des messages de bon-sens, très rarement de la colère ou de la haine. Quand on leur demande, les gens disent que nos aliments ont perdu en qualité, ou qu’ils voudraient que leur travail soit mieux reconnu. Les gens ont envie de retrouver les choses bien faites, de prendre le temps. Nous sommes tous isolés, et nous en sommes malheureux. A quoi sert d’avoir 400 hectares de terre et d’aller à toute vitesse sur son tracteur si l’on ne peut plus rencontrer ses voisins ?Quelles sont les premiers enseignements que vous en tirez sur l’agriculture française ?
Les agriculteurs bossent comme des dingues et croulent sous les dettes. Leur quotidien, c’est le divorce, les médicaments, voire le suicide. Certains sont des zombies. J’en retire d’abord une impression de grand vide dans nos territoires. Je suis passé à Juliénas, dans le Beaujolais, on m’a dit que la moyenne d’âge dans le village dépasse les 70 ans. Un peu plus loin, le dirigeant d’une coopérative m’apprend que dans cinq ans, il n’y aura plus de vignerons dans sa commune. Dans mon village, nous ne sommes plus que 3 agriculteurs, plus de 60% du territoire est en friche. J’ai traversé des coteaux du Beaujolais complétement vides, à l’abandon. Que vont devenir ces espaces ? Je crains une apocalypse alimentaire le jour où il faudra revenir en arrière et produire à nouveau, par exemple à la moindre catastrophe climatique ou difficulté à importer des produits.José Bové assure que « culturellement » l’agriculture française n’existe plus. Partagez-vous ce constat ?
Bien sûr. Chaque agriculteur qui part à la retraite sans pouvoir transmettre son savoir est une perte irréversible pour la France. Peut-on sérieusement croire que ces espaces pourront un jour être cultivés par des gens qui n’ont jamais été agriculteurs ?Comment le citoyen peut-il changer la donne ?
Coluche disait : « Si l’on est pas content il suffit de ne pas acheter. » C’est toujours vrai. Il faut privilégier toutes les alternatives à la grande distribution.Pour beaucoup de gens, cette alternative est trop chère...
Il est faux de dire que le supermarché est la solution la moins chère. Tout simplement parce qu’un supermarché donne 17 centimes d’euros à un agriculteur pour acheter un kilo de poires, dont le coût de production est d’au moins 35 centimes, et que ce supermarché vous revend ce même kilo conditionné à 3,50 euros. Le consommateur est pris pour un imbécile ! Alors même si cela vous coûte le même prix dans une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou en circuit court, il faut privilégier ces filières car les produits seront meilleurs et si l’on s’y met tous, cela pourra faire bouger les lignes.
Pour vous la solution viendra donc des circuits courts et des Amap ?
Non. Ce sont des solutions militantes qui ne pourront pas nourrir tout un pays. Rappelons qu’une Amap n’est pas la panacée. L’agriculteur qui gère l’association où j’achète mes légumes trime aussi beaucoup, pour 900 euros par mois. Et rappelons que ces structures ne nourrissent que quelques dizaines de familles chacune. Je persiste à croire que notre métier est de nourrir les gens, surtout quand on compte 8 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim en France. Personnellement, je produis donc 800 tonnes de salades sur un hectare, que je vends à un industriel qui conditionne les produits en sachet.Ce choix industriel n’est-il pas un renoncement, alors que vous appelez à changer de système ?
C’est vrai, c’est un choix par dépit. Comme je viens de le dire, je n’ai pas souhaité opter pour les circuits-courts, et je n’ai pas non plus voulu obtenir le label bio parce que pour moi ce n’est que du marketing. Mais mes moyens sont très limités : j’ai perdu pendant trois ans plus de 130 000 euros annuels en vendant des fruits, et j’ai dû vendre mes hangars et une partie de mon matériel. Je travaille différemment, j’ai réussi à opter pour des bioengrais (produits liquides ou solides, contenant des micro-organismes vivants ou dormants comme des bactéries, des champignons, des algues, etc., ndlr) mais je subis encore ma manière de produire. Je vais me résoudre à travailler ainsi jusqu’à ma retraite, dans huit mois.
C’est à croire que l’on ne peut résoudre le dilemme entre nourrir la population et produire de manière saine.
Bien sûr que si ! Il faut une volonté politique nationale. Imposons aux distributeurs une marge brute maximale de 30% sur les fruits et légumes. C’est beaucoup 30% ! Et bien avec cette marge ils achèteraient les pommes de terre 1,10 euro le kilo aux agriculteurs, et ils revendraient le tout plus de 1,50 euro. Tout le monde y gagnerait, le consommateur y compris. J’ai proposé cette solution au ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire qui avait demandé à me rencontrer il y a quelques semaines. Il m’a répondu que c’était inenvisageable à cause de la campagne électorale ! Même imposer d’afficher le prix payé au producteur sur l’étiquette lui semble impensable. Vous savez, ce même ministre a reconnu qu’il ne sait pas combien un hectare fait de mètres carrés. Comment voulez-vous décider de notre modèle alimentaire avec des dirigeants qui n’ont pas la moindre notion de comment on produit notre nourriture ?
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