Au lendemain de la catastrophe de Fukushima, une chose apparaît clairement : le Japon n’a pas envisagé l’impensable. Un séisme de 9 sur l’échelle de Richter suivi d’un tsunami d’au moins 23 mètres de haut, ce n’était pas prévu. Moins de trois semaines plus tard, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) déclare dans Le Monde : « Personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France ». Or Yves Cochet, député Europe Ecologie-Les Verts, le rappelle : « Les accidents les plus graves étaient toujours inimaginables avant qu’ils ne surviennent. »
Alors, imaginons. Nous sommes à la centrale de Nogent-sur-Seine, à 120 km de Paris. Ici, l’ASN relève un à deux incidents de niveau 1 (anomalies) par an, « ce qui est dans la moyenne des autres centrales de France », explique l’institution. En 2009, elle évoque dans l’un de ses rapports des lacunes en matière de sécurité, par exemple dans le système de « lutte contre les incendies » dans un bâtiment de la centrale.
Mais ces mini-incidents font figure de poids plumes face aux scénarios « improbables » qu’on peut échafauder. Au choix :
- Cet hiver, quel temps de chien ! Il n’arrête plus de pleuvoir. La Seine, qui borde la centrale, déborde. La crue ravive des souvenirs : le 30 décembre 2010 à Nogent, le fleuve avait atteint un niveau de 2,43 mètres. Deux jours avant, dans l’Est Eclair le président du Syndicat d’aménagement de la vallée de la Seine s’inquiétait du niveau d’eau atteint dans les lacs de réserve des barrages. D’ailleurs, puisqu’on parle de barrages, précisions que le Dossier départemental des risques majeurs de l’Aube place la commune de Nogent-sur-Seine dans la zone concernée non seulement par les risques d’inondations classiques, mais aussi par le potentiel déferlement d’une vague causée par la rupture d’un (ou de plusieurs) des trois barrages situés sur l’Aube, la Marne et la Seine. Heureusement, selon EDF, la centrale est conçue pour résister à une crue millénaire majorée de 15%. Et le service « prévention des risques » de l’installation assure qu’elle est parée contre un risque d’inondation couplé à une rupture de barrage : « C’est d’ailleurs pour ceci qu’on a surélevé les bâtiments industriels de trois mètres. » Ouf !
- Cette fois-ci, c’est l’été. La France meurt de soif. Scénario inverse, donc, et tout à fait d’actualité : le bilan Météo France place la saison en cours « au premier rang des printemps les plus chauds depuis le début du XXème siècle... ». Plus torride, donc, que l’année de la canicule en 2003. A cette époque pourtant, EDF avait dû arroser les murs de la centrale de Fessenheim, en mal de refroidissement. Mi-mai, le militant Observatoire du nucléaire a tiré la sonnette d’alarme : sur 58 réacteurs nucléaires, 44 sont situés en bord de rivières – dont Nogent -, et risquent d’être ralentis ou arrêtés à cause d’un manque d’eau. Or même à l’arrêt, la centrale a longtemps besoin d’être alimenté en eau pour se refroidir. Et si le système ne peut plus être approvisionné, le pire peut arriver.
- Quid d’un risque terroriste ? Il n’est pas pris en compte dans les audits des centrales françaises commandés par François Fillon dans la foulée de Fukushima. Ni dans les stress tests fixés au niveau européen : selon un communiqué de l’ASN, « les sujets ayant trait à la lutte contre la malveillance » ne relèvent pas de sa compétence ni de celle de l’UE. Espérons donc que les hommes ne seront pas trop « malveillants » vis-à-vis de nos centrales. Dans le cas contraire, ils pourraient, note Yves Cochet, introduire un virus informatique dans le système de contrôle de commande de la centrale. Ou provoquer « la chute d’un avion gros porteur de type 747, similaire à ceux qui se sont écrasés sur les Twin Towers ».
- On aurait également pu parler du risque sismique... mais il est « très faible » à Nogent, selon la carte de sismicité en France. Ce risque est plus inquiétant dans la plus vieille centrale de France, à Fessenheim, située à environ 90 km de Strasbourg. Elle se trouve, selon la même carte, en zone de sismicité « moyenne » (4 sur une échelle de 5).
Un plan ? Quel plan ?
Imaginons donc le pire : un de ces phénomènes survient, plus fort que prévu. A l’incident s’ajoute une panne, des erreurs humaines. Les réacteurs surchauffent. Des explosions d’hydrogène dispersent dans l’atmosphère de l’iode, du césium 137 et autres éléments radioactifs. Comble de malchance, le vent souffle vers le nord-ouest. Et il pleut. Ces vilaines conditions météo rabattent la radioactivité sur la capitale et sa banlieue. Depuis Nogent, des fuites d’eau radioactives se déversent dans la Seine, qui coule vers Paris. Peu après, le coeur d’un réacteur entre en fusion. EDF sonne l’alerte.
Que faire ? Eh bien, il va falloir improviser. Car aucune mesure de sécurité, pas le moindre bout de plan n’est prévu pour l’Ile-de-France. Le Plan particulier d’intervention de l’Aube ne prévoit de secourir les habitants que dans un rayon de 10 km. Au-delà, pas d’information ni de formation sur la marche à suivre. Pour Hélène Gassin (EELV), vice-présidente de la région Ile-de-France , c’est un peu fort de café : « Dans un pays où personne ne vit à plus de 300 km d’un site nucléaire, chaque Français devrait être formé et informé dès l’école maternelle ! »
Le groupe Europe-Ecologie-Les-Verts, le 31 mars, a posé la question au Préfet de Paris : « Prévoyez-vous de compléter le Dossier départemental des risques majeurs de Paris pour y inclure un volet concernant le risque nucléaire ? » Selon Yves Contassot, conseiller de Paris EELV, ils n’ont pas reçu de réponse... « Enfin si : ils nous ont dit que le risque est maîtrisé. C’est la politique de l’autruche », assène le conseiller, qui ajoute que la préfecture tiendrait tout de même, à disposition, des pastilles d’iode.
Et ensuite ? « Au-delà des premières 24 heures, les mesures à prendre peuvent sortir du rayon des 10 km. Par exemple, les populations se trouvant sous le vent pourraient être protégées ou évacuées, sur une distance qui dépend de la nature des rejets », explique l’ASN. Mais si les vents ont le mauvais goût de foncer sur la capitale, pourra-t-on protéger Paris et sa banlieue ? « Evacuer 6 millions de personnes, on ne sait pas faire, tranche Yves Contassot. D’autant que s’y trouvent aussi tous les services de l’Etat. » Et Hélène Gassin d’en rajouter : « Nos voies d’accès sont déjà saturées en temps normal. Imaginez donc la situation avec un nuage radioactif et la Seine contaminée... » La vision de l’A6 au sud ou de l’A10 à l’ouest encombrées de dizaines de milliers de familles en fuite laisse effectivement songeur. Face à ce type de solution, ou plutôt d’absence de solution, EELV préconise tout simplement de fermer la centrale.
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