Frédéric Tabary ne dort plus. La nuit, il rêve éveillé de briquettes de carton ou de palettes en bois. Et compte les bénévoles prêts à le suivre comme d’autres comptent les moutons pour trouver le sommeil. Tout est allé très vite, presque trop. En mai dernier il ouvrait un groupe sur Facebook pour construire sur la place publique une maison à partir de déchets. Début juin le projet était officiellement lancé avec le soutien d’un sponsor, Maisons du Monde, et de quelques pipoles (à commencer par Bruno Solo et Tom Novembre ).
Le pari pouvait sembler insensé avec un calendrier aussi serré. Mais la mayonnaise a pris, même si les organisateurs doivent aujourd’hui composer dans un joyeux bordel. Villa Déchets mise encore sur la participation des centaines de petites mains bénévoles pour sortir de terre mais, coûte que coûte, elle verra bien le jour à Nantes en décembre prochain. Début des travaux le 20 octobre.
Terra eco : Comment vous est venue cette idée de construire une maison uniquement avec des déchets industriels ?
Frédéric Tabary : Je suis tombé sur la Scrap House de San Francisco (une maison fabriquée avec des matériaux de récupération ou recyclés, ndlr). Le projet m’a intrigué, sauf que cette maison n’était pas démontable, ni habitable, pas chauffée, n’avait pas de fenêtres. Bref, c’était pour moi un non-sens du développement durable, un non-événement. Mais ça m’a donné l’idée de Villa déchets, et comme mon métier, c’est de faire des maisons, je me suis dit, autant la faire bien. En discutant avec des journalistes, j’ai toute de suite senti qu’il y a avait un intérêt pour le projet et qu’on pourrait, par ce biais-là, sensibiliser des gens à la réduction des déchets. J’ai rassemblé des gens autour d’une table et tout de suite, il y a eu une adhésion complète et forte qui ne s’est pas démentie depuis.
Vous êtes un écolo convaincu ?
Pas du tout. J’ai 42 ans et quand tu n’a pas baigné là-dedans, à mon âge, tu peux avoir un déclic, mais tu n’as pas les réflexes. Quand je me brosse les dents, je laisse ouvert le robinet, ce sont mes enfants qui me rappellent les bons gestes. Je pense que j’arriverai à faire des efforts, mais je n’aurai jamais la fibre écolo comme eux, comme je ne serai jamais complètement soigné de la cigarette ! Le fait qu’un gars comme moi ne soit pas sensibilisé, c’est qu’il y a eu un hic dans la communication. On devrait tous être sensibilisés, mais ma génération n’a pas été éduquée comme il le fallait par les parents, par la société… La Villa Déchets est là pour réparer ça.
L’envie de travailler les déchets vous titillait déjà depuis un moment…
Oui. Ma maison est pourvue de nombreux objets récupérés, transformés, donc j’avais déjà quelques habitudes de travailler des déchets, comme les robinets de la salle de bain que j’ai fabriqué avec du cuivre. Mon expérience personnelle m’a conforté dans l’idée qu’on pouvait aller plus loin, et se lancer dans l’aventure d’une maison conçue à 100% avec des déchets. Ce n’est pas une première : il y a d’autres maisons fabriquées avec des déchets, un hôtel éphémère aussi en Italie. En revanche, on réinvente le concept dans le sens où ne verra pas les déchets dans la Villa Déchets. Il n’y aura pas de murs de bouteilles plastique par exemple. Les déchets seront transformés en matière première et ressembleront à des matériaux de base. Au final, la maison semblera comme neuve.
Vous vous inscrivez aussi dans une démarche artistique ?
Au départ non, mais pour le coup si. Ironie de l’histoire, la Villa Déchets n’aura pas le statut de maison. Pour des raisons juridiques, elle sera considérée comme œuvre culturelle ou artistique, mais le but du jeu reste bien de faire une véritable maison. Elle sera installée sur l’Ile de Nantes (le nouveau quartier de l’agglomération, ndlr), près de l’éléphant des Machines.
Concrètement, ça va se dérouler comment ?
Du 20 octobre au 10 novembre, trois chapiteaux de 200 mètres carrés nous permettront de recevoir les déchets et de les retraiter en matière première, pour en faire des murs porteurs ou des meubles, avec le concours d’architectes et de designers, comme Philippe Model. Challenge supplémentaire, il faudra que cette maison soit démontable. Le 10 novembre, on commercera à assembler les murs. Le 18 novembre, la maison sera terminée. Dans la foulée, les visites pourront commencer et les premières nuitées seront mise aux enchères pour ceux qui veulent y dormir au mois de décembre.
A qui seront reversés les gains ?
A une association qui aura entre autres pour mission de gérer la maison lorsque celle-ci sera déplacée sur le nouvel écoquartier de la Bottière à Nantes. Il faudra que ce nouveau symbole du développement durable reste ouvert au public le week-end. Cette association n’est pas encore désignée. On lancera un appel à concours dans la presse et un jury choisira la structure adéquate. Le maire de Nantes remettra officiellement les clefs le 2 décembre.
- Une des allures possible de la Villa Déchets de Nantes
Votre projet est participatif. Vous comptez même sur la participation de 7 000 bénévoles. Comment mobiliser autant de monde quand on n’est pas une ONG, un syndicat ou une église ?
En fait, ce n’est pas 7 000 personnes qu’il nous faut, mais 7 000 demi-journées de travail de personnes bénévoles qui n’ont pas de compétence particulière. En revanche, si demain on a 100 artisans, cette maison on la construit en trois jours. Les bénévoles pourront démonter des palettes, fabriquer des briques en papier, enrouler du fil électrique, le passer dans des gaines, aider des designers à monter des meubles, etc. Des professionnels seront là pour encadrer et former les gens. On aura tout l’outillage sur place. On table sur 200 personnes et une dizaine d’encadrants par jour pendant toute la durée du chantier, plus le concours de lycées avec les élèves et leurs profs.
Je vous sens un peu fébrile, là ! Vous n’avez pas peur de ne pas y arriver ?
Le 1er décembre, je mets ma main à couper que quelqu’un dormira dans cette maison. Si on n’a pas les bénévoles et que le 10 novembre, on se rend compte que la maison ne sera pas prête dans les délais, on embauchera des artisans. Mais ce serait dommage. Aujourd’hui, 400 bénévoles ont répondu présent, dont beaucoup sont qualifiés. Un artisan qui vient nous filer bénévolement une journée sur le chantier, ça équivaut à 4 journées d’un amateur. Qu’on se le dise !
Et après Nantes, la Villa Déchets va faire des petits ?
Je prends le train dans un quart d’heure justement pour mettre sur pied une association à Paris qui aura pour mission de reprendre et de démultiplier le projet. On a déjà des contacts pour Paris, Bruxelles, Marseille, New York et La Réunion. Chaque maison sera différente, dépendra des déchets que l’on aura trouvé. A Nantes, on va récupérer des éléments de l’ancien palais de justice avec des portes de 4 mètres de haut magnifiques qui partaient à la poubelle, et dont on sait pas encore ce qu’on en fera exactement. La métropole va nous abreuver en déchets, des enseignes comme Leroy Merlin aussi. A cela on ajoutera tout ce qu’on peut trouver dans les containers des ZAC ou des zones industrielles… On sait que l’ossature sera en palettes et en bois, mais pour le revêtement on ne sait pas, peut-être que ce sera à base du plastique qui couvre ces palettes, peut-être pas. Il n’est pas exclu qu’on trouve des idées et des procédés en cours de route. On peut se permettre d’être inventifs, d’innover, car on sera pas contraints par la garantie décennale sur cette maison.
Vous aimeriez qu’un industriel reprenne le concept de cette maison pour la dupliquer ?
Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas le but du jeu. On ne cherche pas à monter une filière de recyclage pour le bâtiment. Nous nous situons en amont et voulons marquer les esprits sur l’aberration de la quantité des déchets que notre système produit. Il faut savoir qu’en l’espace d’une semaine, un seul magasin d’une grande enseigne produit suffisamment de déchets pour fabriquer une maison. Ce n’est pas normal. Un truc incroyable : saviez-vous que les industriels qui livrent les portes de douche le font sur des palettes métalliques qui sont jetées ? C’est du délire, ça me choque. On va récupérer ces palettes pour la Villa Déchets. Si on récupérerait celles de tous les magasins de France, on pourrait construire une tour en métal !
C’est votre prochain projet ?
Non, le prochain projet, pour 2012, c’est de fabriquer une vague de papier de 40 mètres de haut, constituées de millions de petites briques. Elle remontera la Loire sur des barges et viendra buter sur le bout de l’Ile de Nantes. Puis sera démonté par une grue Titan, pour construire une autre maison… de papier.
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