Raconte-moi ton éco-quartier |
Par Antoine Louchez Par Thibaut Schepman |
A Copenhague, le laboratoire oublié |
Hedebygade se cache à quelques encablures de la gare de Copenhague, dans le quartier Vesterbro, au centre de la ville. Signe distinctif : ce bloc de maisons est cerclé de grilles. Il faut héler pour se faire ouvrir la porte. Erik Hegelund, le concierge des 23 immeubles, entame la visite. Très vite, il pointe les nombreux dysfonctionnements. A l’entrée, l’énorme panneau solaire n’a jamais fonctionné. Il est couvert de lierre. Le réseau de rigoles, creusé pour récupérer l’eau de pluie et alimenter les machines à laver communes, est à sec. Il mène à un dense fourré de mauvaises herbes… là où une mare devrait se trouver. « Le système a marché pendant un an », précise Erik.
Dix ans après, seuls deux d’entre eux ont été remplis. Le projet écologique semble à l’abandon : « Les entreprises qui ont construit ici n’ont pas été associées. Il y a eu des erreurs d’installation et encore aujourd’hui, en cas de panne, on ne sait pas à qui s’adresser. On n’a même pas assez d’argent pour l’entretien », explique Erik. Un manque de moyens qui contraste avec l’ampleur du financement initial : 50 millions d’euros versés par la ville de Copenhague, l’Etat danois et l’Union européenne, pour un quartier de seulement 300 habitants promis à devenir un modèle d’habitat durable.
Un investissement raté selon les associations écologistes locales qui dénoncent des performances énergétiques très décevantes. Selon une étude menée par le Danish Building and Urban Research (DBUR), un habitant d’Hedebygade consomme 1515 kilowattheures par an, soit 15 de plus qu’un habitant de la ville en moyenne. Pour le chauffage, la consommation au mètre carré est certes inférieure à celle des logements de Copenhague, mais elle est loin d’atteindre les objectifs environnementaux fixés par l’Autorité Danoise pour l’Energie.
Niels Birk, manager de Miljø Punkt, une organisation écologiste indépendante qui a suivi le projet analyse cet échec : « Ils n’ont voulu retenir que les projets les plus futuristes et expérimentaux. Ainsi, des panneaux photovoltaïques ont été installés sur tous les immeubles, même sur les façades les moins exposées au soleil. » Selon l’avis de plusieurs habitants, les architectes n’ont pas assez tenu compte de leur vie quotidienne. « On a eu des panneaux solaires mais il a fallu réclamer pendant deux ans l’installation de séchoirs à linge ! », proteste Maria, qui habite le quartier depuis quinze ans et a assisté à toutes les transformations. Si elle a participé autrefois à toutes les réunions de travail, aujourd’hui, elle ne s’implique plus. « Nous ne sommes pas assez écoutés », confie-t-elle.
Kurt Christensen, le principal architecte chargé de la rénovation d’Hedebygade, défend pourtant son projet. Il rappelle qu’avant la rénovation le quartier avait « mauvaise réputation ». La plupart des appartements n’avaient pas de salle de bain, ni parfois d’eau courante. « Notre objectif était avant tout de réhabiliter ces immeubles pour que les gens s’installent dans la durée. Ce sont les habitants qui ont proposé des idées d’installations écologiques, lors des réunions de travail. » Un quartier durable d’accord, mais à condition d’être « socialement durable », explique Kurt Christensen. L’objectif de la ville de Copenhague était que les gens s’attachent. L’expérience est donc réussie, selon la municipalité.
Carsten Bastaa avait 18 ans lorsqu’il a emménagé à Hedebygade en 1977. Il y vit aujourd’hui avec sa femme, et annonce fièrement siéger au Conseil de quartier, en tant que représentant de son immeuble. Après les travaux en 2002, il a bénéficié des aides financières de la municipalité afin de pouvoir faire face à l’augmentation des prix immobiliers.
Carsten Bastaa
Mais Carsten Bastaa est une exception. « L’objectif [de la municipalité] est de réserver le centre ville aux classes moyennes », dénonce Niels Birk. Quitte à rejeter les anciens habitants à la périphérie. Les étudiants instigateurs du projet ont notamment dû déserter les lieux face au décuplement des loyers en dix ans. Carsten le reconnaît et précise même : « Alors que les prix augmentaient, les aides de l’Etat diminuaient régulièrement, jusqu’à disparaître. Elles ne pouvaient pas durer indéfiniment ! »
Désormais, Hedebygade est essentiellement peuplé de familles de jeunes actifs peu intéressés par les problèmes écologiques. Et son conseil ne diffère en rien de ceux des quartiers voisins. On y discute de l’état des allées, de la reconstruction d’une bordure ou du bruit lors des veillées estivales. Il n’y est jamais question du suivi des installations écologiques.
Plusieurs nouveaux arrivants interrogés devant leur immeuble ignorent même qu’ils habitent un soi-disant « éco-quartier ». Kurt Christensen, l’architecte, reconnaît que la population a changé. « Les nouveaux habitants ont une mentalité "suburbs". Ils n’ont pas l’état d’esprit communautaire. » Au centre du quartier, le lieu de vie commune s’est mué en salle de fête que les habitants louent à tour de rôle pour 150 euros par jour. Ce qui sème désordre dans le quartier puisque l’isolation acoustique laisse à désirer. « Je dois dormir avec des boules quiès chaque samedi », enrage par exemple une habitante. Loin de l’idéal de jardin partagé, les logements au rez-de-chaussée ont installé de petits enclos pour jouir de leur terrain en privé.
Carsten néanmoins se dit « très heureux de vivre ici ». « Je suis en pleine ville, et vous avez vu cette verdure ? » Il tient particulièrement à la petite baraque située en face de son immeuble : le local poubelle. Il y trie ses déchets en dix catégories. « Je ne suis pas un militant mais je suis très content et fier de faire ça », explique-t-il. L’idéal écologique né, il y a vingt ans, dans les allées d’Hedebygade a laissé quelques traces.
Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir. |
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