Cuisiner : Robin Food recycle les restes des supermarchés
D’un côté, la lutte contre le gaspillage alimentaire. De l’autre, la mode des « food trucks », ces camionnettes qui sillonnent les villes pour offrir une alternative à la brasserie et aux sandwichs. Au milieu, trois jeunes diplômés d’une école de commerce parisienne, qui se lancent le défi d’allier les deux. Leur start-up propose aux supérettes de leur racheter à prix préférentiel les aliments qui ne remplissent plus leur charte fraîcheur, puisqu’ils périment quelques jours plus tard.
Ils transformeront fruits, légumes et produits laitiers voués aux ordures en bons petits plats, au prix d’un ticket resto. Shéhrazade, Elodie et Cyril ont commencé par tester des recettes peaufinées pendant des semaines, lors d’une prestation traiteur, en juillet 2013. Puis la carte a évolué tous les jours, en fonction des produits collectés. Depuis août 2013 et jusqu’en décembre, ils ont installé un stand de restauration près d’un parc pour vacanciers, puis dans un quartier d’affaires, l’heure de la rentrée ayant sonné. Après cette période de rodage, tous en camion, en janvier 2014 ! Et pour les restes éventuels de leur activité ? Les jeunes entrepreneurs ont trouvé la parade : proposer des repas gratuits, après 15 h, à qui voudra bien leur donner un coup de main.
Sonder : Le cuistot mesure l’appétit des élèves et fait baisser la note pour la cantine
Au collège de Poligny (Jura), les 400 ados qui fréquentent la cantoche tous les jours se régalent en limitant le gaspi. Depuis 2001, Christophe Demangel, le chef cuisinier, y fait des miracles. Son truc : impliquer les élèves lors de repas festifs ou pour s’occuper du compost. « Avant, les chocolats de Noël finissaient à la poubelle, raconte-t-il. Depuis trois ans, ils les font avec nous et se régalent. »
Christophe Demangel n’hésite pas à farfouiller dans les poubelles pour étudier les restes. « Cela m’entraîne à changer une recette ou à réduire la portion des steaks. » Sa dernière invention est un « appétimètre », qui sonde la faim des élèves avant de servir et module la ration en fonction de l’appétit : petit, moyen ou normal. « Si vous faites un service de riz ou de pâtes pour 400 personnes, vous comptez en moyenne 50 grammes d’aliments secs par personne, soit un total de 20 kg. En utilisant l’appétimètre, 15 kg suffisent. » Résultat : 15 % de déchets seulement, dont une partie compostée, au lieu de 40 %. Le coût du repas chute, lui, à 1,80 euro par élève. L’un des moins chers du département.
Redresser : Légumandises donne leurs lettres de noblesse aux fruits et légumes biscornus
Trop gros. Trop petit. Trop tordu… On le sait, les légumes hors calibre finissent souvent en pâture pour le bétail. Voire, pis, à l’incinérateur. Depuis 2011, en Champagne-Ardenne, les « Conserveries solidaires » les valorisent. Cette association commercialise sous la marque Légumandises des conserves haut de gamme, préparées par des personnes en insertion ; 5 % des produits sont offerts à l’aide alimentaire. Le reste est vendu dans la région et sur la Toile.
Compotée d’oignons aux raisins et au miel, curry de navets, fondue de poireaux, ratatouille champenoise ou mitonnée de carottes : deux tonnes de légumes ont déjà été transformées. L’association collecte suffisamment de matières premières pour augmenter sa production. Avant, pourquoi pas, d’essaimer d’autres régions.
Inventer : Au Japon, le business propre de la grande distribution et du recyclage alimentaire
Tristram Stuart, auteur du livre-référence sur le gaspillage alimentaire Global Gâchis (éditions Rue de l’Echiquier, 2013), considère le Japon comme une « terre d’espoir ». Depuis 2001, une loi y oblige les entreprises agroalimentaires à recycler leurs déchets. L’auteur a visité une usine détenue par Odakyu, une chaîne de grands magasins. « Odakyu livre les déchets alimentaires de ses supermarchés, de ses restaurants et de ses wagons-restaurants à l’usine, où ils sont transformés en pâtée ; puis l’entreprise rachète le porc nourri avec cette pâtée et le revend comme produit bio haut de gamme dans ses propres magasins. » Le succès est tel que l’usine « traite également les déchets d’une liste croissante de quatre-vingts hôtels, d’entreprises agroalimentaires et d’une autre chaîne de grande distribution.
Sauver : Le Potager de Marianne rattrape les invendus de Rungis
A Rungis (Val-de-Marne), le plus grand marché du monde, tous les fruits et légumes ne trouvent pas grâce aux yeux des commerçants et restaurateurs. Depuis 2008, 14 salariés en insertion trient ces produits, ensuite vendus entre 30 et 70 centimes le kilo aux structures d’aide alimentaire. Lille (Nord), Marseille (Bouches-du-Rhône) et Perpignan ( Pyrénées-Orientales) font de même. En 2012, 508 tonnes d’invendus ont ainsi échappé aux poubelles… et créé de l’emploi.
Donner : La Tente des Glaneurs distribue les restes du marché
A Lille (Nord), le marché de Wazemmes attire chaque dimanche près de 45 000 visiteurs. Au moment de remballer, les 650 commerçants abandonnent 10 % de leur marchandise. Mères de familles, étudiants, salariés pauvres et SDF se disputaient souvent les restes. Depuis deux ans, la Ville a poussé des bénévoles à collecter… entre 300 kg et une tonne d’invendus par semaine. La distribution des produits a lieu sous une tente, sans justificatif. Après Caen (Calvados), en 2012, l’idée devrait être reprise dans dix villes de France, dès cette année.
Repêcher : Les Paniers de la mer, un filon pour les pêcheurs, un filet contre l’exclusion
Cela commence par une incompréhension. Dans les criées, des poissons
propres à la consommation sont détruits ou transformés en farine animale, lorsque les prix descendent trop bas, pour éviter l’effondrement des cours du marché. Et les pêcheurs reçoivent pour cela une compensation financière de l’Europe. Pourtant, des milliers de personnes inscrites à l’aide alimentaire se délecteraient de ces produits.
Les premiers Paniers de la mer ont vu le jour à Saint-Guénolé, dans le Finistère, en 1997, pour mettre fin à cette aberration. L’association,
lancée par le patron d’une conserverie locale, embauche des chômeurs de longue durée en contrat d’insertion. Ces derniers transforment le poisson retiré de la vente, avant de le distribuer à très bas prix à des organismes d’aide alimentaire. L’idée a fait tache d’huile. Une antenne à La Rochelle (Charente-Maritime) en 2001, une autre à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) en 2002, puis à Lorient (Morbihan) en 2003, Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) en 2011. En 2012, 164 contrats d’insertion ont ainsi été proposés et 166 tonnes de poisson sauvées des poubelles.
Pour le moment, il s’agit surtout de filets surgelés. Mais la fédération des Paniers de la mer s’essaie aux soupes de poisson. Avec, à terme, l’idée de proposer des aliments en contenu auto-chauffant, pour les personnes sans domicile qui ne peuvent pas cuisiner.
Cliquer : Eqosphère, la plate-forme Internet anti-gaspillage
Etudiant, Xavier Corval servait des cocktails d’inauguration. C’était il y a quinze ans. La soirée terminée, il distribuait la montagne de restes aux sans-abri. « C’était compliqué. Il était tard. Je ne savais pas où les trouver, quelles associations contacter. » Xavier Corval entame ensuite une carrière dans des agences de stratégie web. Jusqu’à ce que « tout se connecte », il y a trois ans : « Mon expertise sur les technologies de l’info et mes valeurs anti-gaspillage. Les technologies actuelles rendaient possible mon idée. » Eqosphère était lancé.
Cette plate-forme Internet relie les producteurs de surplus alimentaires – grande distribution, hôtellerie, cantines, etc. – avec les associations, épiceries solidaires, fabricants d’alimentation animale, ressourceries, soldeurs qui en ont besoin. Eqosphère est en phase test en Ile-de-France. Elle associe à la démarche trois hypermarchés Auchan, qui donnent leurs surplus à quatre associations. « Ils ont réorganisé leur zone de tri, formé les salariés, créé des bacs de revalorisation, explique Xavier Corval. L’enseigne réduit ses coûts de destruction et obtient un crédit d’impôt. » Le secret pour que les donneurs jouent le jeu ? « Faire en sorte que le coût de la récup devienne inférieur à celui de la destruction. »
Composter : New York, future capitale mondiale du compost ?
« Nous enterrons 1,2 million de tonnes de déchets alimentaires dans les décharges chaque année, au prix de 80 dollars (61 euros, ndlr) la tonne », se lamente Michael Bloomberg, le maire de New York. Tarif : 96 millions de dollars par an (73 millions d’euros). Mais Bloomberg a un plan pour collecter ces restes alimentaires. Dès 2014, 150 000 familles volontaires et 600 écoles se mettront au compost. Cette pratique serait généralisée aux plus de 8 millions d’habitants de la Grosse Pomme en 2015 ou 2016. Et en France, pendant ce temps, on attend le déluge ?
Eplucher : Au Royaume-Uni, Marks & Spencer s’éclaire grâce aux… épluchures
Tristram Stuart, toujours lui, raconte qu’au Royaume-Uni les méthaniseurs reçoivent des aides publiques. Conséquence : cette nouvelle industrie est en plein essor. Dans l’ouest de l’Angleterre, tous les habitants de la petite ville de Ludlow récupèrent leurs épluchures et restes alimentaires. Destination, l’usine locale. « Les déchets sont transportés sur tapis roulant jusqu’à un broyeur, pasteurisés à 72° C, puis aspirés et jetés dans la première cuve de méthanisation. Un mois plus tard, ils émergent à l’autre bout de la chaîne sous forme d’un compost, semblable à de la tourbe, récupéré par des agriculteurs. » Le gaz recueilli permet quant à lui de produire de l’électricité, vendue à Marks & Spencer. Pour atteindre la rentabilité, l’usine devra toutefois traiter trois fois le volume de déchets actuel (100 000 tonnes).
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